Cinquante personnes instruites, pieuses et raisonnables, s'assemblent depuis un an, tous les dimanches, dans une ville peuplée et commerçante. Elles font des priéres après lesquelles un membre de la société prononce un discours. Ensuite on dîne: et après le repas on fait une collecte pour les pauvres: chacun préside à son tour, c'est au président à faire la prière, et à prononcer le sermon.
Voici une de ces prières et un de ces sermons. Si la semence de ces paroles tombe dans une bonne terre, on ne doute pas qu'elle ne fructifie.
PRIERE.
Dieu de tous les globes et de tous les êtres, la seule priere qui puisse vous convenir est la soumission. Car que demander à celui qui a tout ordonné, tout prévu, tout enchaîné depuis l'origine des choses? Si pourtant il est permis de représenter ses besoins à un père, conservez dans nos coeurs cette soumission même, conservez-y votre religion pure, écartez de nous toute superstition. Si on peut vous insulter par des sacrifices indignes, abolissez ces infâmes mystères; si on peut déshonorer la Divinité par des fables absurdes, périssent ces fables à jamais. Si des jours du prince et du magistrat ne sont pas comptés de toute éternité, prolongez leurs jours. Conservez la pureté de nos moeurs, l'amitié que nos frères nous portent, la bienveillance qu'ils ont pour tous les hommes, leur obéissance pour les lois, et leur sagesse dans la conduite privée: qu'ils vivent et qu'ils meurent, en n'adorant qu'un seul Dieu, rémunérateur du bien, vengeur du mal, un Dieu qui n'a pu naître ni mourir, ni avoir des associés: mais qui a dans ce monde trop de rebelles.
SERMON.
Mes frères, la religion est la voix secrète de Dieu qui parle à tous les hommes; elle doit tous les réunir et non les diviser. Donc toute religion qui n'appartient qu'à un peuple, est fausse. La nôtre est dans son principe celle de l'univers entier: car nous adorons un Etre Suprême, comme toutes les nations l'adorent; nous pratiquons la justice que toutes les nations enseignent; et nous rejetons tous les mensonges que les peuples se reprochent les uns aux autres. Ainsi d'accord avec eux tous dans le principe qui les concilie, nous différons d'eux tous dans les choses où ils se combattent. Il est impossible que le point dans lequel tous les hommes de tous les temps se réunissent, ne soit l'unique centre de la vérité et que les points dans lesquels ils diffèrent tous, ne soient les étendards du mensonge. La religion doit être conforme à la morale, et universelle comme elle. Ainsi toute religion dont les dogmes offensent la morale est certainement fausse. C'est sous ce double aspect de perversité et de fausseté que nous examinerons dans ce discours les livres des Hébreux, et de ceux qui leur ont succédé. Voyons d'abord si ces livres sont conformes à la morale, et ensuite nous verrons s'ils peuvent avoir quelque ombre de vraisemblance. Les deux premiers points seront pour l'Ancien Testament, et le troisième pour le Nouveau.
PREMIER POINT.
Abominations des Juifs.
Vous savez, mes frères, quelle horreur nous a saisis, lorsque nous avons lu ensemble les écrits des Hébreux, en portant seulement notre attention sur tous les crimes contre la pureté, la charité, la bonne foi, la justice et la raison universelle, que non seulement on trouve dans chaque chapitre, mais que pour comble d'horreur on y trouve consacrés.
Premièrement, sans parler de l'injustice extravagante dont on ose charger l'Etre Suprême d'avoir donné la parole à un serpent pour séduire une femme, et pour persécuter l'innocente postérité de cette femme, suivons pied à pied toutes les horreurs historiques qui révoltent la nature et le bon sens.
Un des premiers patriarches, Loth, neveu d'Abraham reçoit chez lui deux anges déguisés en pélerins: tous les habitants de Sodome conçoivent des désirs impudiques pour ces deux anges. Loth qui avait deux jeunes filles promises en mariage, offre de les prostituer au peuple à la place de ces deux étrangers. Il fallait que ces filles fussent étrangement accoutumées à se prostituer, puisque la première chose qu'elles font après que leur ville a été consumée par une pluie de feu, et que leur mère a été changée en statue de sel, est d'enivrer leur père deux nuits de suite pour coucher avec lui l'une après l'autre. Cela est imité de l'ancienne fable arabique de Cyniras, et de Myrrha; mais dans cette fable bien plus honnête, Myrrha est punie de son crime au lieu que les deux filles de Loth sont récompensées par la plus grande et la plus chère des bénédictions selon l'esprit juif; elles sont mères d'une nombreuse postérité.
Nous n'insisterons pas sur le mensonge d'Isaac le père des justes, qui dit que sa femme est sa soeur, soit qu'il ait renouvellé ce mensonge d'Abraham, soit qu'Abraham fût coupable en effet d'avoir fait de sa soeur sa propre femme. Mais arrêtons-nous un moment au patriarche Jacob, qu'on nous donne comme l'exemple des justes. Il force son frère qui meurt de faim à lui céder son droit d'aînesse pour une assiette de lentilles; ensuite il trompe son vieux père Isaac au lit de la mort. Après avoir trompé son père, il trompe et il vole son beau-père Laban. C'est peu d'épouser les deux soeurs, il couche avec toutes ses servantes. Et son Dieu bénit cette incontinence et ces fourberies.
Quelles sont les actions des enfants d'un tel père? Dina sa fille plaît à un prince de Sichem, et il est vraisemblable qu'elle aime ce prince puisqu'elle couche avec lui. Le prince la demande en mariage; on la lui accorde, à condition qu'il se fera circoncire lui et son peuple; le prince accepte la proposition. Mais sitôt que lui et les siens se sont fait cette opération douloureuse, qui pourtant leur devait laisser assez de force pour se défendre, la seule famille de Jacob égorge tous les hommes de Sichem, et fait esclaves les enfants et les femmes.
Nous avons dans notre enfance entendu l'histoire de Thyeste et de Pélopée. Cette incestueuse abomination est renouvellée dans Juda le patriarche, et le père de la première tribu. Il couche avec sa belle-fille, et ensuite il la veut faire mourir.
Le livre après cela suppose que Joseph, un enfant de cette famille errante, est vendu en Egypte, et que cet étranger est établi premier ministre pour avoir expliqué un songe. Mais quel premier ministre qu'un homme qui dans un temps de famine oblige toute la nation de se faire esclave pour avoir du pain! Quel magistrat parmi nous oserait jamais en un temps de famine proposer un marché si abominable, et quelle nation accepterait cet infâme marché?
N'examinons pas ici comment soixante et dix personnes de la famille de Joseph qui s'établirent en Egypte purent en deux cent cinq ans se multiplier jusqu'à six cent mille combattants, sans compter les femmes, les vieillards et les enfants, ce qui devait composer une multitude de plus de deux millions d'âmes; ne discutons point comment le texte porte quatre cent trente ans, lorsque ce même texte en a compté deux cent cinq. Le nombre infini de contradictions qui sont le sceau de l'imposture, n'est pas ici l'objet qui doit nous arrêter. Ecartons pareillement les prodiges ridicules de Moÿse et des enchanteurs de Pharaon, et tous ces miracles faits pour donner au peuple juif un malheureux coin de mauvaise terre qu'ils achètent ensuite par le sang et par le crime, au lieu de leur donner la fertile terre d'Egypte où ils étaient: tenons-nous-en à cette voie affreuse d'iniquités par lesquelles on les fait marcher.
Leur Dieu avait fait de Jacob un voleur, et il fait des voleurs de tout le peuple: il ordonne à son peuple de dérober et d'emporter tous les vases d'or et d'argent et tous les ustensiles. Voilà donc ces misérables au nombre de six cent mille combattants, qui au lieu de prendre les armes en gens de coeur s'enfuient en brigands conduits par leur Dieu. Si ce Dieu avait voulu leur donner une bonne terre, il pouvait leur donner l'Egypte; mais non, il les conduit dans un désert. Ils pouvaient se sauver par le chemin le plus court: ils se détournent de plus de trente milles pour passer la mer Rouge à pied sec.
Après ce beau miracle, le propre frère de Moïse leur fait un autre Dieu, et ce Dieu est un veau; et pour punir son frère, ce même Moïse ordonne à des prêtres de tuer leurs fils, leurs frères, leurs pères, et ces prêtres tuent vingt-trois mille Juifs qui se laissent égorger comme des bêtes. Après cette boucherie il n'est pas étonnant que ce peuple abominable sacrifie des victimes humaines à son Dieu qu'ils appellent Adonaï du nom d'Adonis qu'ils empruntent des Phéniciens. Le vingt-neuvième verset du vingt-septième chapitre du Lévitique défend expressément de racheter les hommes voués à l'anathème, au sacrifice; et c'est sur cette loi de cannibales que Jephté quelque temps après immole sa propre fille. Ce n'était pas assez de vingt-trois mille hommes égorgés pour un veau, on nous en compte encore vingt-quatre mille autres immolés pour avoir eu commerece avec les filles idolâtres. Digne prélude, digne exemple, mes frères, des persécutions en matière de religion.
Ce peuple avance dans les déserts et dans les rochers de la Palestine. Voilà votre beau pays, leur dit leur Dieu: Egorgez tous les habitants, tuez tous les enfants mâles, faites mourir les femmes mariées, réservez pour vous toutes les petites filles. Tout cela est exécuté à la lettre, selon les livres hébreux. Et nous frémirions d'horreur à ce récit, si le texte n'ajoutait pas que les Juifs trouvèrent dans le camp des Madianites six cent soixante et quinze mille brebis, soixante et douze mille boeufs, soixante et un mille ânes, et trente deux mille filles pucelles. L'absurdité dément heureusement ici la barbarie. Mais encore une fois, ce n'est pas à présent que j'examine le ridicule et l'impossible je m'arrête à ce qui est exécrable.
Après avoir passé le Jourdain à pied comme la mer, voilà ce peuple dans la terre promise. La première personne qui introduit par une trahison ce peuple saint, est une prostituée nommée Rahab. Dieu se joint à cette prostituée; il fait tomber les murs de Jéricho au bruit de la trompette. Le saint peuple entre dans cette ville sur laquelle il n'avait de son aveu aucun droit, et il massacre les hommes, les femmes et les enfants. Passons sous silence les autres carnages, et les rois crucifiés, et les guerres prétendues contre les géants de Gaza et d'Ascalon, et le meurtre de toux ceux qui ne pouvaient prononcer le mot Shibolet.
Ecoutez cette belle aventure. Un Lévite arrive sur son âne avec sa femme à Gabaa, dans la tribu de Benjamin. Quelques Benjamites veulent absolument commettre le péché de sodomie avec le Lévite; c'était bien descendre, après avoir attenté à deux anges, de ne s'en prendre qu'à un prêtre. Ils assouvissent leur brutalité sur sa femme qui meurt de ces excès. Il fallait punir les coupables. Point. Les onze tribus massacrent toute la tribu de Benjamin, il n'en échappe que six cents hommes. Mais les onze tribus sont enfin fâchées de voir périr une des douze; et pour y remédier, ils exterminent les habitants d'une de leurs propres villes, et y prennent six cents filles pour les donner aux six cents Benjamites survivants, et pour perpétuer cette belle race.
Que de crimes commis au nom du Seigneur! Ne rapportons que celui de l'homme de Dieu, Aod. Les Juifs venus de si loin pour conquérir, sont soumis malgr&ea cute le Seigneur aux Philistins, ils ont juré obéissance au roi Églon: un saint Juif, cet Aod, demande à parler tête à tête avec le roi, de la part de Dieu: le roi ne manque pas d'accorder l'audience, Aod l'assassine: et c'est de cet exemple qu'on s'est servi tant de fois chez les Chrétiens pour trahir, pour perdre, pour massacrer tant de souverains.
Enfin la nation chérie qui avait été ainsi gouvernée par Dieu même, veut avoir un roi, de quoi le prêtre Samuel est bien fâché.
Le premier roi juif renouvelle la coutume d'immoler des hommes. Saül ordonna prudemment que personne ne mangeât de tout le jour, pour mieux combattre les Philistins, et pour que ses soldats eussent plus de force et de vigueur; et il jura au Seigneur d'immoler au Seigneur celui qui aurait mangé. Le peuple heureusement fut plus sage que lui, et ne permit pas que le fils du roi fût sacrifié pour avoir mangé un peu de miel.
Mais voici, mes frères, l'action la plus détestable et la plus consacrée: il est dit que Saül prend prisonnier un roi du pays nommé Agag; il ne tue point son prisonnier; il en agit comme chez les nations humaines et polies. Qu'arrive-t-il? Le Seigneur en est irrité et voici Samuel prêtre du Seigneur qui lui dit: Vous êtes réprouvé, pour avoir épargné un roi qui s'est rendu à vous: et aussitôt ce prêtre boucher coupe Agag par morceaux. Que dirait- on, mes frères si lorsque notre empereur Charles Quint eut un roi de France en ses mains, son chapelain fût venu lui dire: Vous êtes damné pour n'avoir pas tué François premier; et que ce chapelain eût égorgé le roi de France aux yeux de l'empereur, et en eût fait un hachis?
Mais que dirons-nous du saint roi David, de celui qui est si agréable devant le Dieu des Juifs, et qui mérite que le Messie vienne de ses reins? Ce bon David fait d'abord le métier de brigand. Il rançonne, il pille tout ce qu'il trouve, il pille entre autres un homme riche nommé Nabal, et il épouse sa femme.
Il se réfugie chez le roi Achis, et va pendant la nuit mettre à feu et à sang les villages alliés de ce roi Achis son bienfaiteur. Il égorge, dit le texte sacré, hommes, femmes, enfants, de peur qu'il ne reste quelqu'un pour en porter la nouvelle.
Devenu roi il ravit la femme d'Urie, et fait tuer le mari; et c'est de cet adultère homicide que vient le Messie, le fils de Dieu, Dieu lui-même. O blasphême! Ce David devenu ainsi l'aïeul de Dieu pour récompense de son horrible crime, est puni pour la seule bonne et sage action qu'il ait faite. Il n'y a pas de prince bon et prudent qui ne doive savoir le nombre de son peuple, comme tout pasteur doit savoir le nombre de son troupeau. David fait ce dénombrement, sans qu'on nous dise pourtant combien il avait de sujets, et c'est pour avoir fait ce sage et utile règlement, qu'un prophète vient de la part de Dieu lui donner à choisir de la guerre, de la peste ou de la famine.
Ne nous appesantissons pas, mes chers frères, sur les barbaries sans nombre des rois de Juda et d'Israël, sur ces meurtres, sur ces attentats toujours mêlés de contes ridicules; ce ridicule pourtant est toujours sanguinaire; il n'y a pas jusqu'au prophète Elisée qui ne soit barbare. Ce digne dévot fait dévorer quarante enfants par des ours, parce que ces petits innocents l'ont appellé tête chauve.
Laissons cette nation atroce et insensée dans sa captivité à Babylone, et dans son esclavage sous les Perses, sous les Macédoniens, Syriens, Egyptiens, et sous les Romains, avec toutes les belles promesses de leur Dieu Adonis, ou Adonaï qui avait si souvent assuré aux Juifs la domination de toute la terre.
Enfin sous le gouvernement sage des Romains, il naît un roi aux Hébreux: et ce roi, mes frères, ce Shilo, ce Messie, vous savez qui il est. C'est celui qui ayant d'abord été mis dans le grand nombre de ces prophètes sans mission, qui n'ayant pas le sacerdoce se faisaient un métier d'être inspirés, a été au bout de quelques centuries regardé comme un Dieu.
N'allons pas plus loin: voyons sur quel prétexte, sur quels faits, sur quels miracles, sur quelles prédictions enfin sur quels fondements est bâtie cette dégoûtante et abominable histoire.
SECOND POINT.
Absurdités des Juifs.
O mon Dieu, si tu descendais toi-même sur la terre, si tu me commandais de croire ce tissu de meurtres, de vols, d'assassinats, d'incestes commis par ton ordre et en ton nom; je te dirais, non, ta sainteté ne veut pas que j'acquiesce à ces choses horribles qui t'outragent tu veux m'éprouver sans doute.
Comment donc, vertueux et sages auditeurs, pourrions-nous croire cete affreuse histoire sur les témoignages misérables qui nous en restent?
Parcourons d'une manière sommaire ce livre si faussement imputé à Moïse: je dis faussement imputé car il n'est pas possible que ce Moïse ait parlé de choses advenues longtemps après lui; et nul de nous ne croirait que les mémoires de Guillaume prince d'Orange sont de sa main, si dans ces mémoires il était parlé de faits arrivés après sa mort. Parcourons, dis-je, ce qu'on nous raconte sous le nom de Moïse. D'abord Dieu fait la lumière qu'il nomme jour, et puis les ténèbres qu'il nomme nuit, et ce fut le premier jour. Ainsi il y eut des jours avant que le soleil fût fait.
Puis Dieu le sixième jour fit l'homme et la femelle. Mais l'auteur oubliant que la femme était déjà faite, la tire ensuite d'une côte d'Adam. Adam et Eve sont mis dans un jardin dont il sort quatre fleuves; et parmi ces quatre fleuves il y en a deux, l'Euphrate et le Nil, qui ont leur source à mille lieues l'un de l'autre. Le serpent parlait alors comme l'homme, et il était le plus fin des animaux des champs; et il persuade à la femme de manger la pomme, et les fait ainsi chasser du paradis. Le genre humain multiplie, et les enfants de Dieu deviennent amoureux des filles des hommes; et il y avait des géants sur la terre; et Dieu se repentit d'avoir fait l'homme; il voulut donc l'exterminer par le Déluge, mais il voulut sauver Noé, et lui commanda de faire un vaisseau de trois cents coudées de bois de gopher. Dans ce seul vaisseau devaient entrer sept paires de tous les animaux mondes, et deux des immondes. Il fallait les nourrir pendant dix mois que l'eau fut sur la terre, et longtemps encore avant que les herbes eussent poussé: or vous voyez ce qu'il eût fallu pour nourrir quatorze éléphants, quatorze chameaux, quatorze buffles, autant de chevaux, d'ânes, d'élans, de cerfs, de daims, de serpents, d'autruches, et plus de deux mille espèces considérables. Vous demanderez où l'on avait pris l'eau pour l'élever sur toute la terre quinze coudées au-dessus des plus hautes montagnes? Le texte répond que cela fut pris dans les cataractes du Ciel. Dieu sait où sont ces cataractes.
Dieu fait après le Déluge une alliance avec Noé et avec tous les animaux; et pour confirmer cette alliance il institue l'arc-en-ciel. Ceux qui écrivirent cela n'étaient pas, comme vous le voyez, grands physiciens. Voilà donc Noé qui a une religion donnée de Dieu, et cette religion n'est ni la juive, ni la chrétienne. La postérité de Noé veut bâtir une tour qui aille jusqu'au ciel. Belle entreprise! Dieu la craint et fait parler plusieurs langues différentes en un moment aux ouvriers, qui se dispersent. Tout est dans cet ancien goût oriental de fables à perte de vue.
Ce sont des habitants de Sodome qui veulent violer deux anges, c'est une pluie de feu qui change des villes en un lac; c'est la femme de Loth changée en statue de sel; c'est Jacob qui se bat pendant toute une nuit contre un ange, et qui est blessé à la cuisse; c'est Joseph vendu esclave en Egypte, qui y devient premier ministre pour avoir deviné un rêve; soixante et dix personnes de sa famille s'établissent en Egypte, et en deux cent cinq ans elles se multiplient, comme nous l'avons vu, jusqu'à deux millions.
Ce sont donc ces deux millions d'Hebreux qui s'enfuient d'Egypte et qui prennent leur plus long pour avoir le plaisir de passer la mer à pied sec. Mais ce miracle n'a rien de surprenant. Les magiciens de Pharaon en faisaient de fort beaux, et ils en savaient presque autant que Moïse. Ils changeaient comme lui une verge en serpent, ce qui est une chose toute simple. Si Moïse changeait les eaux en sang, aussi faisaient les sages de Pharaon. Il faisait naître des grenouilles, et eux aussi. Mais ils furent vaincus sur l'article des poux, les Juifs en cette partie en savaient plus que les autres nations.
Enfin Adonaï fait mourir chaque premier né Egyptien, pour laisser partir son peuple à son aise. La mer se sépare pour ce peuple; c'était bien le moins qu'on pût faire en pareille occasion. Tout le reste est de cette force. Ces peuples errent dans le désert. Quelques maris se plaignent de leurs femmes: aussitôt il se trouve une eau qui fait enfler et crever toute femme qui a forfait à son honneur. Ils n'ont ni pain ni pâte; on leur fait pleuvoir des cailles et de la manne; leurs habits se conservent quarante ans, et croissent avec les enfants, et il descend apparemment des habits du ciel pour les nouveaux nés. Un prophète du voisinage veut maudire ce peuple, mais son ânesse s'y oppose avec un ange, et l'ânesse parle très raisonnablement et assez longtemps au prophète.
Ce peuple attaque-t-il une ville? Les murailles tombent au son des trompetttes, comme Amphion en bâtissait au son de la flute. Mais voici le plus beau. Cinq rois amorréens, c'est à dire, cinq chefs de villages, tâchent de s'opposer aux ravages de Josué. Ce n'est pas assez qu'ils soient vaincus, et qu'on en fasse un grand carnage. Le Seigneur Adonaï fait pleuvoir sur les fuyards une pluie de grosses pierres. Ce n'est pss encore assez: il échappe quelques fugitifs, et pour donner tout le temps à Israêl de les poursuivre, la nature suspend ses loix éternelles; le soleil s'arrête sur Gabaon et la lune sur Aïalon en plein midi. Nous ne comprenons pas trop comment la lune était de la partie; mais enfin le livre de Josué ne permet pas d'en douter, et il cite pur son garant le livre du Droiturier. Vous remarquerez en passant que ce même livre du Droiturier est cité dans les Paralipomènes. C'est tout comme si on nous donnait pour authentique un livre du temps de Charles Quint, dans lequel on citerait Puffendorf. Mais passons. De miracle en miracle nous arrivons jusqu'à Samson représenté comme un fameux débauché favori de Dieu; celui-là parce qu'il n'était point rasé, défait mille Philistins avec une mâchoire, et attache par la queue trois cents renards qu'il trouve à point nommé. Et le reste.
Il n'y a presque pas une page qui ne présente de pareils contes. Ici c'est l'ombre de Samuel qui paraît à la voix d'une sorcière; là c'est l'ombre d'un cadran (supposé que ces misérables eussent des cadrans) laquelle recule de dix degrés à la prière d'Ezéchias qui demande judicieusement ce signe; car Dieu lui donnait le choix de faire avancer ou reculer l'heure, et le docte Ezéchias trouvait que ce n'était pas une grande affaire d'avancer l'ombre, mais bien de la reculer.
C'est Elie qui monte au ciel dans un char de feu; ce sont des enfants qui chantent dans une grande fournaise ardente. Je n'aurais jamais fait si je voulais entrer dans le détail de toutes les extravagances inouïes dont ce livre fourmille. Jamais le sens commun ne fut attaqué avec tant d'indécence et de fureur.
Tel est d'un bout à l'autre cet Ancien Testament, le père du Nouveau, père qui désavoue sn fils, et qui le tient pour un enfant bâtard et rebelle. Car les Juifs, fidèles à la loi de Moïse, regardent avec exécration le christianisme élevé sur les ruines de cette loi. Mais les chrétiens ont voulu à force de subtilités justifier le Nouveau Testament par l'Ancien même. Ainsi ces deux religions se combattent avec les mêmes armes. Elles appellent toutes deux en témoignage les mêmes prophètes. Elles attestent les mêmes prédictions.
Les siècles à venir qui auront vu passer ces cultes insensés, et qui peut-être, hélas! en recevront d'autres non moins indignes de Dieu et des hommes, les siècles à venir, mes frères, pourront-ils croire que le judaïsme et le christianisme se soient appuyés sur de tels fondements, sur les prophéties? Et quelles prophéties! Ecoutez. Le prophète Esaïe est appellé par Achas roi de Juda pour lui faire quelque prédiction selon la coutume vaine et superstitieuse de tout l'Orient. Car ces prophètes étaient, comme vous savez, des gens qui se mêlaient de deviner pour gagner quelque chose, ainsi qu'il y en avait encore beaucoup en Europe dans le siècle passé, et surtout parmi le petit peuple. Remarquez encore que la plupart de ces prophètes juifs étaient hérétiques: car Osée, Jonas, Joêl, Abdias, Betakad, Elie même et Elisée étaient tous du pays de Samarie, tous engagés dans le schisme, et selon les idées juives, enfants de perdition; mais revenons à Isaïe ou Esaïa.
Le roi Achas assiégé dans Jérusalem par Salmanezer qui avait pris Samarie, demande donc au devin Esaïa un prophétie et un signe. Esaïa lui dit: Voici le signe; une fille sera engrossée, elle enfantera un fils qui aura nom Emmanuel. Il mangera du beurre et du miel, jusqu'à ce qu'il sache rejeter le mal et choisir le bien; et avant que cet enfant soit en cet état, la terre que tu as en détestation sera abandonnée par ses deux rois, et l'Eternel sifflera aux mouches qui sont aux bords des ruisseaux d'Egypte et d'Assur, et le Seigneur prendra un rasoir de louage, et fera la barbe au roi d'Assur, et lui rasera la tête et les poils de l'os pubis.
Après cette belle prophétie rapportée dans Esaïa, et dont il n'est pas dit un mot dans le livre des Rois, le prophète est chargé lui-même de l'exécution. Le Seigneur lui commande d'écrire d'abord dans un grand rouleau: Qu'on se dépêche de butiner; il hâte le pillage. Puis en présence de témoins il couche avec une fille, et lui fait un enfant; mais au lieu de l'appeller Emmanuel, il lui donne le nom de Maher Salal asbas.
Voilà, mes frères, ce que les chrétiens ont détourné en faveur de leur Christ. Voilà la prophétie qui établit le christianisme. La fille à qui le prophète fait un enfant, c'est la Vierge Marie. Maher Salas asbas, c'est Jésus-Christ. Pour le beurre et le miel, je ne sais pas ce que c'est.
Chaque devin prédit aux juifs leur délivrance, quand ils sont captifs; et cette délivrance, c'est selon les chrétiens, la Jérusalem céleste, et l'Eglise de nos jours. Tout est prédiction chez les juifs. Mais chez les chrétiens tous ces miracles et toutes ces prédictions sont des figures de Jésus-Christ.
Voici, mes frères, une de ces belles et éclatantes figures. Le grand prophète Ezéchiel voit un vent d'aquilon et quatre animaux et des roues de chrysolithes toutes pleines d'yeux, et l'Eternel lui dit: lève-toi, mange un livre, et va-t-en. Ensuite l'Eternel lui commande de dormir trois cent quatre-vingt-dix jours sur le côté gauche, et ensuite quarante sur le côté droit: l'Eternel le lie avec des cordes. Ce prophète était assurément un homme à lier. Nous ne sommes pas au bout. Puis-je répéter sans vomir ce que Dieu ordonne à Ezéchiel? Il le faut. Dieu lui ordonne de manger du pain d'orge cuit avec de la merde. Croirait-on que le plus sale faquin de nos jours pût imaginer de pareilles ordures? Oui, mes frères, le prophète mange son pain d'orge avec ses excréments. Il se plaint que ce déjeuner lui répugne un peu. Et Dieu par accommodement lui permet de ne mêler à son pain que de la fiente de vache. C'est donc là un type une figure de l'Eglise de Jésus-Christ! Ne pensez pas, mes frères, que ce soit la plus horrible abomination de toutes celles qui fourmillent dans les livres de ces prétendus prophètes. Lisez le vingt-troisième chapitre de ce même Ezéchiel, vous y verrez ces propres mots touchant la jeune Oliba: "sa fureur impudique a recherché le coït de ceux qui ont des membres de cheval, et qui décharg... comme des ânes." Et à qui Ezéchiel fait-il tenir cet exécrable discours? A Dieu même.
C'est ce Dieu créateur de l'univers dont on a osé profaner le saint nom jusqu'à lui faire ordonner au prophète Osée dans le Ier chapitre, de prendre une fille publique, et de lui faire des fils de putain, ce sont ses propres paroles. Dieu lui ordonne ensuite de coucher avec une femme adultère, moyenant quinze drachmes et un boisseau et demi d'orge. Peut-on insulter plus indignement la Divinité?
Après ces exemples il est inutile d'en apporter d'autres et de perdre notre temps à combattre toutes ces rêveries révoltantes et absurdes qui sont le sujet des disputes entre les juifs et les chrétiens. Contenton-nous de plaindre l'aveuglement le plus déplorable qui jamais ait offusqué la raison humane: espérons que cet aveuglement finira comme tant d'autres, et venons au Nouveau Testament, digne suite de tout ce que nous avons vu.
TROISIEME POINT.
Du Nouveau Testament.
C'est en vain que les Juifs furent un peu plus éclairés du temps d'Auguste que dans les siècles barbares dont nous venons de parler. C'est en vain que les Juifs avaient commencé à connaître l'immortalité de l'âme, dogme inconnu à Moïse, et les récompenses de Dieu après notre mort pour les justes, comme les punitions, quelles qu'elles soient, pour les méchants: dogme non moins ignoré de Moïse. La raison n'en perça pas davantage chez ce misérable peuple, dont est sortie cette secte chrétienne qui a été la source de tant de divisions, de guerres civiles et de crimes, qui a fait couler tant de sang, et qui est partagée en tant de sectes ennemies dans le coin de la terre où elle règne.
Il y eut toujours chez les Juifs des gens de la lie du peuple qui firent les prophètes pour se distinguer dans la populace. Voici celui qui a fait le plus de bruit, et dont enfin on a fait un Dieu. Voici le précis de son histoire en peu de paroles, telle qu'elle est rapportée dans les livres qu'on nomme Evangiles. Si on veut savoir en quel temps ces quatre Evangiles ont été écrits, il est évident qu'ils l'ont été après la prise de Jérusalem. Car au chapitre vint- troisième du livre attribué à Matthieu, Jésus dit aux prètres, serpents, race de vipères etc. "tombe sur vous tout le sang innocent répandu depuis le sang d'Abel le juste, jusqu'au sang de Zacharie fils de Barach, tué entre le temple et l'autel." Il n'est parlé, mes frères, d'un Zacharie fils de Barach, tué entre le temple et l'autel que dans l'histoire du siège de Jérusalem par Flavian Josephe. Donc il est démontré que cet Evangile ne fut écrit qu'après le livre de Josephe. Vos savez avec quelle absurdité ces quatre auteurs se contredisent: c'est une preuve démonstrative du mensonge. Hélas! Nous n'avons pas besoin de tant de preuves pour ruiner ce malheureux édifice: contenton-nous d'un récit court et fidèle.
D'abord on fait Jésus descendant d'Abraham et de David. Et l'écrivain Matthieu compte quarante- deux générations en deux mille ans. Mais dans son compte, il ne s'en trouve que quarante et une. Et dans cet arbre généalogique qu'il tire des livres des Rois, il se trompe encore lourdement, en donnant Josias pour père à Jéconias.
Luc donne aussi une généalogie, mais il y met cinquante-six générations depuis Abraham; et ce sont des générations toutes différentes. Enfin pour comble, ces généalogies sont celles de Joseph, et les Evangélistes assurent que Jésus n'est pas fils de Joseph. En vérité serait-on reçu dans un chapitre d'Allemagne sur de telles preuves de noblesse? Et c'est du fils de Dieu dont il s'agit! Et c'est Dieu qui est lui-même l'auteur du livre!
Matthieu dit que quand ce Jésus roi des Juifs fut né en une étable au village de Béthléem, trois mages ou trois rois virent son étoile en orient, qu'ils suivirent cette étoile, laquelle s'arrêta sur Bethléem, et que le roi Hérode ayant entendu ces choses fit massacrer tous les petits enfants au dessous de deux ans. Y a-t-il une horreur plus ridicule? Matthieu ajoute que le père et la mère emmenèrent le petit Jésus en Egypte et y restèrent jusqu'à la mort d'Hérode.
Luc dit formellement le contraire. Il marque que Joseph et Marie restèrent paisiblement durant six semaines à Bethléem; qu'ils allèrent à Jérusalem, et de là à Nazareth, et que tous les ans ils allaient à Jérusalem.
Les Evangélistes se contredisent sur le temps de la vie de Jésus, sur ses prédications, sur le jour de sa Cène, sur celui de sa mort, sur les apparitions après sa mort, en un mot presque sur tous les faits. Il y avait quarante-neuf Evangiles faits par les chrétiens du premier et second siècle qui se contredisaient tous encore davantage. Et enfin on choisit les quatre qui nous restent. Mais quand même ils seraient tous d'accord, que d'inepties, grand Dieu! que de misères, que de choses puériles, absurdes et odieuses!
La première aventure de Jésus, c'est- à-dire fils de Dieu consubstantiel à Dieu, en un mot de Dieu, c'est d'être enlevé par le Diable; car le Diable qui n'a point paru dans les livres de Moïse, joue un grand rôle dans l'Evangile. Le Diable donc emporte Dieu sur une montagne dans le désert, et lui montre de là tous les royaumes de la terre. Quelle est cette montagne dont on découvre tant de pays? Nous n'en savons rien. Le Diable propose tout uniment à Dieu de l'adorer! Concevez-vous, mes frères, un blasphème plus ridicule?
Jean rapporte, que Jésus va à une noce, et qu'il y change l'eau en vin; qu'il chasse du parvis du temple ceux qui vendaient des animaux pour les sacrifices ordonnés par la loi.
Toutes les maladies étaient alors des possessions du diable. Et en effet Jésus donne permission à ses apôtres de chasser les diables. Cette superstition misérable était adopté déjà par un peuple ignorant, qui n'ayant point de médecins croyait comme les sauvages que la plupart des maladies étaient causées par des esprits malins. On les exorcisait avec la racine barath et la clavicule de Salomon.
Jésus délivre donc en passant un possédé qui avait une légion de démons; et il fait entrer ces démons dans un troupeau de cochons, lesquels se précipitent dans la mer de Tibériade: on peut croire que le maître des cochons, qui apparemment n'était pas Juif, ne fut pas content de cette farce. Il guérit un aveugle, et cet aveugle voit des hommes comme si c'était des arbres.
Il veut manger des figues en hiver, il en cherche sur un figuier, et n'en trouvant point, il maudit l'arbre et le fait sécher; et le texte ne manque pas d'ajouter, avec prudence, car ce n'était pas le temps des figues. Il se transfigure pendant la nuit, et il fait venir Moïse et Elie.
En vérité les contes de sorcier approchent-ils de ces impertinences? Cet homme qui disait continuellement des injures atroces aux Pharisiens, qui les appelait race de vipères, sépulcres blanchis, est enfin traduit par eux à la justice, est supplicié avec deux voleurs, et ses historiens ont le front de nous dire qu'à sa mort la terre a été couverte d'épaisses ténèbres en plein midi et en pleine lune comme si tous les écrivains de ce temps là n'auraient pas remarqué un si étrange miracle. Après cela il ne coûte rien de le dire ressuscité, et de prédire comme prochaine la fin du monde, qui pourtant n'est pas arrivée.
La secte de ce Jésus subsiste cachée; le fanatisme s'augmente; on n'ose pas d'abord faire de cet homme un Dieu; mais bientôt on s'encourage. Je ne sais quelle métaphysique de Platon s'amalgame avec la secte nazaréenne. On fait de Jésus le logos, le verbe de Dieu; puis consubstantiel à Dieu son père. On imagine la Trinité, et pour la faire croire on falsifie les premiers Evangiles. On ajoute un passage touchant cette Trinité, de même qu'on falsifie l'historien Josèphe, pour lui faire dire un mot de Jésus, quoique Josèphe soit un historien trop grave pour avoir fait mention d'un tel homme. On va jusqu'à forger des vers des Sibylles. On suppose des canons des apôtres, des constitutions des apôtres, un symbole des apôtres, un voyage de Simon Pierre à Rome, un assaut de miracles entre ce Simon et un autre Simon prétendu Magicien. En un mot point d'artifice, de fraude, d'imposture que les Nazaréens ne mettent en oeuvre. Et après cela on vient nous dire tranquillement que les apôtres prétendus n'ont pu être ni trompés ni trompeurs, et qu'il faut croire à des témoins qui se font égorger pour soutenir leurs dépositions.
O malheureux trompeurs et trompés qui parlez ainsi! Quelle preuve avez-vous que ces apôtres ont écrit ce qu'on met sous leur nom? Si on a pu supposer des Canons, n'a-t-on pas pu supposer des Evangiles? N'en reconnaissez-vus pas vous-mêmes de supposés? Qui vous a dit que les apôtres sont morts pour soutenir leur témoignage? Il n'y a pas un seul historien contemporain qui ait seulement parlé de Jésus et de ses apôtres. Avouez que vous soutenez des mensonges par des mensonges; avouez que la fureur de dominer sur les esprits, le fanatisme et le temps ont élevé cet édifice qui croule aujourd'hui de tous côtés, masure que la raison déteste, et que l'erreur veut soutenir.
Après trois cents ans les chrétiens viennent à bout de faire reconnaître Jésus pour Dieu. Et non content de ce blasphème, on pousse ensuite l'extravagance jusqu'à mettre ce Dieu dans un morceau de pâte. Ils font disparaître le pain; et tandis que leur Dieu est mangé des souris tandis qu'on le digère, qu'on le rend avec les excréments, ils soutiennent qu'il n'y a point de pain dans leur hostie, que c'est Dieu seul qui s'est mis à la place du pain à la voix d'un homme. Toutes les superstitions viennent en foule inonder l'Eglise. La rapine y préside, on vend la rémission des péchés, on vend les indulgences ainsi que les bénéfices, et tout est à l'enchère.
Cette secte se partage en une multitude de sectes: dans tous les temps on se bat, on s'égorge et on s'assassine à chaque dispute; les Rois, les Princes, sont massacrés. Tel est le fruit, mes chers frères, de l'arbre de la croix, de la potence qu'on a divinisée. Voilà donc pourquoi on ose faire descendre Dieu sur la terre, pour livrer l'Europe pendant des siècles au meurtre et au brigandage! Il est vrai que nos pères ont secoué une partie de ce joug affreux. Ils se sont défait de quelques erreurs, de quelques superstitions. Mais bon Dieu! Qu'ils ont laissé l'ouvrage imparfait! Tout nous crie qu'il est temps d'achever, et de détruire de fond en comble l'idole dont nous avons à peine brisé quelques doigts.
Déjà une foule de théologiens embrasse un socinianisme qui approche beaucoup de l'adoration d'un seul Dieu, dégagée de superstitions. L'Angleterre, l'Allemagne, nos provinces, sont pleines de docteurs sages qui ne demandent qu'à éclater; il y en a aussi un grand nombre dans les autres pays. Pourquoi donc attendre plus longtemps? Pourquoi ne pas adorer Dieu en esprit et en vérité? Pourquoi s'obstiner à enseigner ce qu'on ne croit pas, et se rendre coupable envers Dieu de ce péché énorme?
On nous dit qu'il faut des mystères au peuple, qu'il faut le tromper. Eh mes frères! Peut-on faire cet outrage au genre humain? Nos pères n'ont-ils pas déjà ôté au peuple la transubstantiation, l'adoration des créatures et des os de mort, la confession auriculaire, les indulgences, les exorcismes, les faux miracles, les images ridicules? Le peuple ne s'est-il pas accoutumé à la privation de ces aliments de la superstition? Il faut avoir le courage de faire encore quelques pas. Le peuple n'est pas si imbécile qu'on le pense. Il recevra sans peine un culte sage et simple d'un Dieu unique, tel qu'on nous dit que les Noachides le professaient, tel que tous les sages de l'antiquité l'ont pratiqué, tel quil est reçu à la Chine par tous les lettrés. Nous ne prétendons point dépouiller les prètres de ce que la libéralité des peuples leur a donné. Mais nous voudrions que ces prètres qui se raillent presque tous secrètement des mensonges qu'ils débitent, se joignissent à nous pour prêcher la vérité.
Qu'ils y prennent garde; ils offensent, ils déshonorent la Divinité
et alors ils la gloriferont. Que de biens inestimables seraient produits
par un si heureux changement! Les princes et les magistrats en seraient
mieux obéis, les peuples plus tranquilles: l'esprit de division et
de haine serait dissipé. On offrirait à Dieu en paix les prémices
de ses travaux. Il y aurait certainement plus de probité sur la terre;
car un grand nombre d'esprits faibles qui entend tous les jours parler avec
mépris de cette superstition chrétienne, qui l'entend tourner
en ridicule par tant de prètres, s'imagine, sans réfléchir,
qu'il n'y a en effet aucune religion, et sur ce principe il s'abandonne
à des excès. Mais lorsqu'on connaîtra que la secte chrétienne
n'est en effet que le pervertissement de la religio naturelle; lorsque la
raison libre de ses fers apprendra au peuple qu'il n'y a qu'un Dieu, que
ce Dieu est le père commun de tous les hommes qui sont frères,
que ces frères doivent être les uns envers les autres justes
et bons, qu'ils doivent exercer toutes les vertus, que Dieu étant
juste doit récompenser ces vertus et punir les crimes: certes alors,
mes frères, les hommes seront plus gens de bien, en étant
moins superstitieux. Nous commençons par donner cet exemple en secret,
et nous osons espérer qu'il sera suivi en public. Puisse ce grand
Dieu, qui m'écoute, ce Dieu qui assurément ne peut ni être
né d'une fille, ni être mort à une potence, ni être
mangé dans un morceau de pâte ni avoir inspiré ces livres
remplis de contradictions, de démence et d'horreur, puisse ce Dieu
créateur de tous les mondes avoir pitié de cette secte de
chrétiens qui le blasphèment! Puisse-t-il nous ramener à
la religion sainte et naturelle, et répandre ses bénédictions
sur les efforts que nous faisons pour le faire adorer!