© CHSPM Edition établie en 1999 sur le manuscrit de la bibliothèque de Fécamp.
par Teddy Aymard, Leila Meski-Olivesi, Clément Martin-Granel, Laurent Pla-Tarruella, Guillaume Schneider, Stéphane Bornet, Guillaume Kozlowski, dans le cadre du séminaire de DEA "littérature philosophique clandestine", dir. Olivier Bloch, à l'Université Paris I.
Usage réservé à la recherche et l'enseignement.
Edition en cours de révision.
Pour toute suggestion de correction, écrire à L. Jaffro ou M.-D. Couzinet

La religion analysée


Première partie

Ce manuscrit est l'ouvrage même tel qu'il a été composé. Il existe des notes d'une autre main qui ont ensuite passé dans le corps de l'ouvrage. Et c'est dans ce même état qu'il a été imprimé dans l'Examen sur la religion attribué à *** [illisible].

La Religion analysée :

1. Discours préliminaire :

S'il n'y avait qu'une seule Religion dans le monde et que tous les peuples de la terre s'accordassent à rendre à la même Divinité un culte uniforme, il y aurait sans doute de la témérité à vouloir examiner et connaître par soi-même l'authenticité de cette religion. Ce serait même de l'impiété que [***] examen n'aurait pour but que de refuser à la divinité un culte que lui rendrait tout l'univers et qui pour cela même aurait un caractère incontestablement divin. Mais il s'en faut beaucoup que nous ne soyons dans ce cas-là.
Toutes les [***] tant orientales que occidentales ; la Chine, le Japon, enfin plus des [trois-] quarts de la terre sont plongés dans une idolâtrie profonde et quelques-uns même dans l'athéisme, tels que sont une grande partie des peuples de l'Afrique, les groenlandais et plusieurs autres.

Supposons cependant qu'un quart des hommes ait échappé à des erreurs qui paraissent ne venir que de l'ignorance dans la quelle ils vivent, ce quart se trouvera partagé en 4 autres , dont 3 au moins sont musulmans. La Turquie, la Perse, l'Egypte, la Syrie, la plus grande partie de l'Afrique sont toutes attachées à l'une des sectes musulmane. Reste un seizième des habitants de la terre pour la Religion Juive, l'Eglise Grecque, le Calvinisme, le Luthéranisme, la Religion Anglicane et les autres sectes qui partagent l'Eglise Chrétienne.

Si l'on considère l'étendue de l'Allemagne, du Danemark, de la Suède, de la Russie, de l'Angleterre, et de la Hollande , d'où la R.C.R est presque entièrement bannie, nous trouverons qu'à peine fera t'elle un dixième de ce restant, ce qui fait la cent soixantième partie de la terre. On peut dire que ce calcul, bien loin d'être fait rigoureusement, mais peut être encore le double de ce qu'il peut y avoir de C.R. Mais supposons le juste, et jugeons nous mêmes, s'il est permis à un homme de faire dépendre sa foi et son salut de ce que le hasard l'a fait naître dans cette cent soixantième partie de l'univers plutôt que dans toute autre .

Vaut-il mieux que ce nombre innombrable d'hommes comme lui, qui son nés dans des lieux différents, et peut-il sans injustices regarder comme réprouvés des gens qui nous ont donné des exemples de vertu, qu'on ne trouve point chez les Chrétiens. Un homme raisonnable peut-il donc suivre aveuglement la Religion dans laquelle il est né, sans se mettre en peine si ce grand nombre d'autres ne valent point autant ou mieux que la sienne ?

Que sera-ce, si ce Dieu vengeur et jaloux comme la plus part des Religions nous le dépeignent, lui demande après sa mort, compte des lumières qu'il lui a données. Sera-t-il excusable de ne les avoir pas employés à connaître la volonté de Dieu, et à rechercher le culte qui peut lui être le plus agréable. Suffira-t-il de dire qu'il a suivi la Religion dans laquelle il est né, que par respect et par piété il n'a pas voulu pénétrer les secrets de la Providence .

Le Curé et l'idolâtre auront la même réponse à faire, et à aussi juste titre. Ils sont nés comme nous, dans une loi qui leur défend de rien examiner, qui leur ordonne de croire aveuglément ce qui leur est enseigné. Avaient-ils quelque moyen de reconnaître leur erreur.
On allait, dira-t-on, à travers mille périls leur porter la lumière de l'évangile. Mais leur loi même ne leur défendait-elle pas d'écouter ceux qui voulaient les faire changer de Religion et ne leur ordonnait-elle pas de les chasser comme séducteurs.

Que ferions nous nous mêmes, et que devrions nous faire, suivant ce qui nous est prescrit, à ceux qui viendraient nous éclairer, nous instruire. Si en même temps ils nous proposaient un culte différent du nôtre, nous les rejetterions et par un principe de dévotion nous refuserions de les écouter.

Peut-on nier que l'égalité ne soit parfaite entre ces peuples et nous ? Ils croient leur religion, et nous croyons la nôtre. De même il n'y a aucune raison, si l'on considère la chose en général, de préférer l'une à l'autre. Que ferons nous donc dans une pareille incertitude ? Attendrons-nous dans la froideur la fin de notre vie pour juger par ce qui suivra, la mort, si nous étions dans la voie de la vérité ou non ? Ne serons nous pas alors dignes de tous les maux dont on nous menace ?

Convenons donc que le seul moyen d'éviter ce malheur est d'examiner la Religion avec le plus d'attention qu'il nous sera possible. Si Dieu nous a créés avec une âme raisonnable et intelligente, nous sommes comptables à la Divinité des lumières qu'elle nous a données et c'est abuser d'une grâce si singulière que de n'en pas faire usage dans la plus importante action de notre vie.

Mais, me dira-t-on, c'est un travail immense que d'entrer dans le détail de toute les Religions, et l'on pourrait par cet examen ne parvenir qu'à des doutes fâcheux sans aller jusqu'à une conviction parfaite.

A l'égard de la première objection on peut dire que le travail n'est pas si immense. Une partie des Religions, quoi que différentes de la nôtre à plusieurs égards, ont un principe commun avec elle. L'Ecriture Sainte en est la base, et l'examen que nous pouvons en faire nous éclairera infiniment sur tous les cultes qui en dérivent. Pour l'idolâtrie qui règne dans la plus grande partie de la terre, nous vivons dans un siècle trop éclairé pour n'en pas reconnaître du premier coup d'oeil toute l'absurdité. On me dira que les Grecs et les Romains qui avaient autant d'esprit et de lumières que nous, avaient en vénération de semblables absurdités. La réponse est facile. Le peuple alors ne raisonnait pas plus qu'aujourd'hui ; et il suivait aveuglément la Religion qu'il tenait de ses pères.

Mais les gens de lettres (Lucrèce, Cicéron, Virgile, Horace, Juvenal) et ceux qui étaient tant soit peu au dessus du vulgaire avaient des sentiments bien différents, et les auteurs de ce temps sont remplis de passages qui prouvent qu'ils ne faisaient de cette Religion que le cas qu'elle méritait.

Reste donc la dernière objection, qui est qu'on peut se tromper dans l'examen qu'on fera, ou ne parvenir qu'à un doute affligeant pire de beaucoup que l'état où l'on était auparavant. Mais commençons par examiner ce sentiment. N'est-il pas impie en lui même ? Pouvons nous douter que lorsque nous recherchons la vérité avec un esprit droit et un coeur sincère, que nous n'aurons d'autre but que de nous éclairer sur nos devoirs envers l'Etre Suprême.

Pouvons nous, dis-je, douter qu'il ne nous prête son secours .

Peut-il nous laisser tomber dans l'erreur ? S'il exige un culte de l'homme, n'aura-t-il pas revêtu ce culte d'un caractère de vérité distincte et indubitable ? Aura-t-il couvert de ténèbres ce chemin par lequel il veut que nous allions à Lui ?

Non sans doute ; ce Dieu qui a créé l'homme pour le servir ne laissera pas tomber dans l'erreur celui qui n'a d'autre but que se connaître, Sa volonté pour s'y soumettre.

Tous les hommes sont également son ouvrage. Il ne les a pas créés pour les rendre les victimes de sa fureur, il leur a donné la raison pour se conduire, et sans doute, [ça été] pour leur fournir un moyen de reconnaître à des marques infaillibles ce qu'il exigeait d'eux. Malheur à celui qui par un attachement obstiné à l'opinion que le pur hasard lui a donnée refusera de se servir de cette raison pour la recherche de la vérité.

Evitons ce malheur, et tâchons d'examiner dans toute la sincérité de notre coeur si la Religion que nous tenons de nos Pères a en elle des marques de Divinité qui nous prouvent qu'elle est l'ouvrage d'un Dieu, ou si elle a des caractères d'humanité qui fassent voir évidemment qu'elle soit de la main des hommes.

N'hésitons donc plus à entreprendre un examen, auquel notre intérêt particulier et notre conscience nous obligent si indispensablement, et tâchons d'employer les moyens les plus sûrs pour connaître l'histoire de notre Religion c'est-à-dire les faits positifs qui ont déterminé les hommes avec qui nous vivons à la préférer à toute autres espèces de culte.


2.[ Analyse générale ]


Il n'est point question de la morale de la Religion Chrétienne.

Elle est bonne en général, mais en cela, elle n'a rien de particulier.

Celle des Grecs, des Romains, des Turcs, des Chinois et même de la plus part des idolâtres sont dans le même cas, elles proposent toutes des modèles de vertu à imiter, elles promettent des récompenses pour les bonnes oeuvres, elle les effrayent par la menace de châtiments, enfin elles emploient toutes, les mêmes moyens pour affermir les liens de la Société, et pour retenir les hommes dans le devoir. Ce n'est donc point une preuve de la Vérité d'une Religion que de recommander la pureté des moeurs et d'annoncer après la mort des châtiments pour les crimes et des récompenses pour la vertu puisque c'est le Dogme fondamental de toutes les Religions dans tous les pays et dans tous les temps.

Remarquons ce *** que la Religion juive avait cela de particulier, qu'elle ne promettait que des récompenses temporelles, et que l'immortalité de l'âme était si peu reconnue par eux que ce dogme était une des principales contestations qui existait entre les caducéens et les esséniens. Mais sans nous arrêter à cette remarque qui ne laisserait pas d'être importante, si nous en voulions faire usage, convenons que la Morale austère non plus que les peines et récompenses dans une autre vie ne forment point de préjugé en faveur d'aucune Religion, et qu'elles sont toutes égales sur ce point . Voyons donc si celle que nous professons est solidement établie pour composer tout ce qu'elle renferme de mystères inconcevable.

Ce mot de mystère est imposant, il faut les croire, dit-on, sans entreprendre de les pénétrer : je l'accorde ; mais du moins faut-il être assuré qu'ils nous viennent de Dieu. Car ce serait ouvrir la porte aux extravagances les plus signalées que de croire tout ce qui nous serait annoncé à titre de mystère sans être convaincu qu'il vient d'une source infaillible. Si donc je viens à m'assurer que la Religion Chrétienne émane de Dieu, je croirai aveuglément tous les mystères sans chercher à les expliquer. Ma raison soumise se taira et adorera la profondeur de la sagesse divine. Mais plus je suis résolu à un détachement sincère de moi même, à un renoncement absolu à toutes mes lumières, plus je dois être difficile dans l'examen, et plus je dois prendre garde à ne me rendre qu'à des caractères de vérité qui soient absolument incontestables.

Dans cet esprit j'ouvre le livre de la loi ; je dois examiner d'abord si ce livre à en lui même des marques de Divinité, qui me fassent juger que ses auteurs étaient inspirés de Dieu. Le seul moyen que j'aie pour en juger est de comparer ce livre à lui même, d'en conférer ensemble les divers passages, d'examiner s'il n'y a point de ces contradictions, de ces faits visiblement impossibles, ou démontrés faux, enfin de ces fautes grossières qui se trouvent si ordinairement dans les historiens des siècles reculés, dont ce livre sera certainement exempt, si c'est Dieu lui même qui l'a dicté, et s'il m'est donné comme la base et le fondement de ce que je dois croire pour obéir à la loi.

Je parcours d'abord le livre de Moïse, je commence par l'histoire de la création, je trouve qu'elle n'est qu'un tissu de faits qui choquent toutes les lumières de ma raison. On n'a qu'à consulter le Père Calmet et Mr de Sacy, et on verra une partie des objections qui ont été faites par les divers critiques. Mais ce qui sans doute causera le plus d'étonnement, c'est la faiblesse des réponses qui ont été faites à ces objections. Je n'en parlerai point cependant et je ne me veux arrêter qu'à quelques unes de ces fautes grossières et de ces contradictions aux quelles il n'y a point de réponse, et même je ne ferai que les indiquer ou en parler très succinctement, laissant à ceux qui trouveront que je n'en dit point assez, le soin de les chercher dans l'original et de les examiner par eux-mêmes.

Après que Dieu pour punir la désobéissance d'Adam et d'Eve, les ait chassés du Paradis Terrestres, Caïn tue son frère et par conséquence reste seul dans le monde avec Adam et Eve, et tout au plus avec quelque autre de ses frères ou Soeur dont l'Ecriture ne parle pas.

Cependant malgré cela il craint que les hommes ne le tuent, et Dieu lui même pour le rassurer, le marque d'un signe qui le met à couvert de ce danger : étrange précaution pour sauver un parricide d'un péril imaginaire, tandis qu'il venait de condamner à la damnation éternelle ce même homme et tous ses descendants pour une faute que son Père avait commise avant qu'il fût au monde ! Caïn banni et réprouvé bâtit une ville quoi qu'il n'y eu que lui pour l'habiter. Mais ce serait perdre *** que de relever toutes les fautes de cette espèce qui se rencontrent à chaque page de ce premier chapitre de la Genèse.

Je ne m'arrêterais pas non plus à la description du Déluge ni de l'Arche de Noé dont les dimensions font voir l'impossibilité qu'il y avait d'y placer la dixième partie des animaux qui devaient y être.

Passons à des temps moins reculés, nous verrons que Jacob avait 84 ans , lors Lia lui fut donnée en mariage, que Dina n'avait que 7 ans au plus, quand elle fut violée par Sichem, que Siméon et Lévi avaient à peine 11 ou 12 ans , lorsqu'ils pillèrent une ville dont ils passeront tous les habitants au fil de de l'épée.

L'histoire de Juda et de Thamau mérite assurément qu'on y fasse un moment d'attention. On y verra que pendant l'espace de 22 ans Juda eut 3 enfants l'un après l'autre d'une même femme, que l'aîné fut marié à Thamau, qu'il mourut, et qu'après sa mort Thamau épousa le second qui mourut aussi, que dans la suite Juda eut de sa bru Thamau, sans la connaître, deux jumeaux, l'un desquels fut aussi marié et eut des enfants: on voit quelle vraisemblance il y a que tout cela se soit passé dans l'espace de 22 ans.

Les autres livres ne fourniront pas moins d'exemples de pareilles fautes: il est dit au livre des Rois que Salomon édifia le temple 480 ans après la sortie d'Egypte: qu'on en fasse le calcul soi-même, suivant la durée de la vie et du gouvernement des juges et des Rois, on trouvera plus de 600 ans.(livre 1 chapitre 6)

Les richesses de Salomon, si l'on en croit le même livre, montaient à 11 milliards après la mort de David, il y en ajoute encore deux depuis. Qui pourra jamais croire que le souverain d'un aussi petit état ait pu rassembler des sommes si immense, tandis que de compte fait, tout l'argent de l'Europe entière ne va pas à 4 milliards.

Qu'on tâche, s'il est possible, de concilier le deuxième livre des Rois avec lui même, il est dit dans un endroit (chapitre 1 v.17) que Joram fils de Achab commença à régner la 2e année du règne de Joram fils de Josaphat, et dans l'autre (ch.8, v.16) que Joram fils de Josaphat commença à régner la 5e année du règne de Joram fils de Achab. Il suffit de la simple exposition de ces deux passages pour en faire sentir la contrariété.

Suivant ce même livre (ch.8, v.26), Ochosias était âgé de 22 ans, lorsqu'il commença à régner, et suivant le 2e livre des Paralypomènes (ch.22, v.2), il avait 42 ans, quand il monta sur le trône.

Au premier livre d'Esdras, il y a une erreur de calcul qui saute aux yeux dans la somme totale des Israélites revenus de la captivité. Il les fait monter à 42360 et en additionnant chaque somme en particulier, il ne s'en trouve que 29818. Quelques peu importantes que paraissent ces remarques, elles prouvent invinciblement que ces livres sacrés sont sujets aux mêmes fautes, qui se rencontrent dans les autres historiens, et que par conséquent leurs auteurs n'étaient point inspirés de Dieu, ou qu'ils ont été altérés depuis; ce que l'on ne doit pas croire, puisque, s'ils sont véritablement émanés de Dieu, et qu'ils doivent faire la règle de notre croyance, Dieu ne peut pas avoir permis qu'il y soit arrivé aucune altération.

Mais du moins, dira-t-on, regardons les auteurs sacrés comme des historiens de bonne foi qui ont fait des fautes parce que c'est le caractère de l'humanité. Ces fautes ne doivent pas empêcher qu'on ajoute foi au principaux faits qu'ils rapportent, et dont ils ont été les témoins oculaires. J'y consens, mais alors ils seront soumis à la même critique que les autres écrivains; ne les regardant plus comme guidés par l'esprit de Dieu, je demanderai les mêmes preuves pour les croire, que je demande à tous les auteurs, et je commencerai par examiner quels sont ces écrivains, et s'ils sont assez connus, assez éclairés et assez désintéressés pour que j'aie une confiance aveugle à tout ce qu'ils me disent.

3. Examen général des livres saints. Erreurs et contradictions des livres de l'Anc. Test.

Commençons par l'Ancien Testament. Nous en trouvons deux exemplaires qui jusqu'au concile de Trente, ont été également respectés dans l'Eglise. L'un est rédigé et traduit par St Jérôme et se nomme la Vulgate; c'est à cette traduction que le concile de Trente a donné la préférence. L'autre est la version des Septantes. St Augustin nous raconte avec une confiance admirable que 70 interprètes enfermés, chacun séparément traduisirent miraculeusement la Bible mot à mot de la même manière: je le veux, ces deux versions doivent donc avoir une entière conformité entre elles. Il s'en faut bien cependant: au contraire, elles se contredisent en mille endroits, et sur les points les plus essentiels. La Vulgate ne compte depuis Adam jusqu'au Déluge que 1656 ans; les Septantes en comptent 2262. Ils donnent mille ans de vie de plus que la Vulgate à chacun des ancêtres d'Abraham, et mettent une génération de plus, en introduisant un certain Caïnan dont la Vulgate ne parle point. Si l'on examine sans prévention quelle est la cause de cette grande différence, on trouvera que ce ne fut point une erreur d'inadvertance, mais une fraude nécessaire, sans laquelle la rel. juive était à deux doigts de sa perte. Ptolémée voulut faire traduire la Bible en grec: ce livre allait paraître aux yeux d'une nation éclairée, il fallut donc en concilier la chronologie avec celle des Grecs, et l'on fut obligé de reculer considérablement le Déluge, parce que les histoires grecques remontant plus haut que le temps auquel il était fixé dans l'hébreu, la fausseté en aurait été démontrée sur le champ. C'est la même raison qui fait qu'encore aujourd'hui les missionnaires qui vont à la Chine sont obligés de se servir de la traduction des Septantes, malgré la condamnation du concile de Trente, parce que les histoires chinoises sont beaucoup plus anciennes que le temps auquel nous plaçons le Déluge suivant la Vulgate.

Disons encore un mot d'un autre exemplaire des livres de Moïse, qui est connu sous le nom de Pentateuque Samaritain. Il contient à peu près les mêmes faits que les cinq premiers livres des Septantes et de la Vulgate. Mais il nous fournit de nouvelles preuves de l'infidelité ou des erreurs répandues dans tous ces ouvrages. On y trouve des contradictions sans nombre avec la Vulgate et avec les Septantes. Pour n'en rapporter qu'un seul exemple, nous venons de voir que la Vulgate ne compte que 1656 ans depuis la création jusqu'au Déluge, et que suivant les Septantes, il y en a 2262. Le Pentateuque Samaritain va encore plus loin, et en compte 2307. Ainsi l'on voit le peu de fonds qu'il y a à faire sur des ouvrages où il se rencontre aussi peu d'exactitude.

Examinons maintenant quels sont les auteurs de ces écrits si respectables, nous verrons qu'il n'en est presque aucun qu'on puisse assurer être l'ouvrage de celui dont il porte le nom. La plupart même de ces livres ont été successivement approuvés ou rejetés par différentes Eglises, ou par là même en différents temps. Tel a été le sort de Judith, de Job, de l'Ecclésiaste, du Livre de la Sagesse, de Daniel, d'Esdras. Plusieurs livres du Nouveau Testament (Barnage, 1693, p. 94) ont été dans le même cas, comme l'Evangile de St Jean, l'Epitre de St Jude, celle de St Paul aux hébreux, l'Apocalypse et plusieurs autres. Aucun concile avant celui de Trente n'a fixé le canon des livres sacrés. St Jérôme dit que l'Eglise grecque doutait de la catholicité de l'Apocalypse. St Basile et St Grégoire de Nysse la rejetaient. Denis d'Alexandrie l'attribuait à un autre auteur. Jusqu'à Trajan les apocryphes étaient confondus avec les autres évangiles. St Irénée est le premier qui ait parlé des 4 Evangélistes. Seulement on trouve dans le tome 1er des conciles du Père Labbé page 84 une preuve de l'embarras où se trouvèrent les PP. du concile de Nicée pour démêler les apocryphes. Il rapporte l'extrait du petit livre synodique qui est à la fin des actes du concile, et on y voit qu'y ayant plusieurs livres apocryphes confondus avec les livres sacrés, les PP. du concile proposèrent de mettre tant les uns que les autres sur l'Autel, et de prier Dieu que ceux qui ne les croient pas tombassent dessous, ce qui fut fait (Basnage 1700). Il y a apparence néanmoins que cet expédient ne décida pas absolument la question. Car ce ne fut qu'en 380 que le concile de Laodicée rejeta entièrement les apocryphes (Basnage 1694, p.362). Les Alogiens qui étaient une secte du Christianisme naissant soutenaient que l'Evangile de St Jean était supposé. Le 3ème et le 4ème livre d'Esdras qui avaient toujours été au rang des livres canoniques ont été rejetés par le concile de Trente: Parmi tant de différentes opinions et d'incertitudes, pouvons nous vraisemblablement penser que tous les livres compris dans le canon qui est reçu aujourd'hui, soient authentiques, et que ceux qui sont maintenant rejetés soient faux ou supposés? Non, sans doute, il faut les examiner nous même, et proportionner la confiance que nous devons y avoir, au degré d'autorité dont ils sont revêtus.

4. De l'Ancien Testament, examen particulier des livres saints.

Pour commencer par les 5 premiers livres de la Bible, il est démontré qu'ils ne sont point de Moïse. Premièrement on y trouve la fin de sa vie, et ce qui est arrivé dans Israël depuis sa mort. En 2nd lieu il y est souvent parlé de Moïse à la 3ème personne, son éloge se trouve en plusieurs endroits; enfin il est dit dans la Genèse: "ce sont ici les Rois qui ont régné en Edom avant qu'aucun Roi régnât sur les enfants d'Israël"; ce qui prouve clairement que ce livre a été écrit au temps des Rois d'Israël. La brièveté m'empêche d'apporter un plus grand nombre de preuves qui font voir que cet ouvrage est beaucoup postérieur au temps de Moïse. Si l'on en veut un détail plus circonstancié, on n'a qu'à parcourir le traité des cérémonies superstitieuses des juifs, on y trouvera amplement de quoi se satisfaire.

Le livre de Josué est dans le même cas, il a en lui les mêmes preuves de supposition. Celui des juges, les 2 de Samuel, ou les 4 livres des Rois sont tout aussi peu des auteurs dont ils portent le nom. Les preuves de ce que j'avance sont exposées trop clairement dans le livre que je viens de citer, pour que j'entre ici dans un plus grand détail. L'auteur qui était Juif [Spinoza], et qui par conséquent possédait le fond de la langue hébraïque y éclaircit une infinité de difficultés qui sont hors de la portée de ceux qui n'en ont pas fait une étude particulière.

On est dans un doute beaucoup plus universellement reçu sur le livre des juges, ceux des Rois, de Judith, d'Esther, de Tobie, de Ruth, de l'Ecclésiaste, de la Sagesse, et de la plus part des prophètes. Nous ignorons absolument quels sont les auteurs de presque tous ces livres; et je n'en veux pour témoins que le P.Simon, le P.Calmet, Mgr Leclerc, et tous ceux qui ont travaillé sur ce sujet, avec le plus de succès et l'approbation la plus générale.

D'où tenons nous donc ces livres? Qui nous les a transmis? Qui les a attribués à ceux dont ils portent le nom? Qui est-ce qui les a assemblés et rangés dans l'ordre où ils sont aujourd'hui? Je ne veux pour répondre à toutes ces questions que consulter les mêmes livres.

Esdras nous apprend que dans la captivité d'où le Peuple d'Israël revint sous sa conduite, tous les livres de la loi furent brûlés, et que ce fut lui qui avec 5 autres personnes les réécrivit tous. A la vérité il ajoute que l'esprit de Dieu les lui dicta, et qu'il les refit précisément tels qu'ils étaient auparavant. Il est inconcevable qu'une aussi faible autorité soit l'unique fondement du respect qu'on exige de nous pour ces ouvrages merveilleux. Le livre que nous venons de citer existe pourtant et est entre les mains de tout le monde. Il est au nombre des livres sacrés, et a été regardé comme canonique jusqu'au concile de Trente: On en sentit alors la conséquence, et les deux derniers livres d'Esdras ne furent point insérés dans le canon publié par ce concile. Mais ils se trouvent dans toutes les Bibles, soit manuscrites soit imprimées avant le 15ème siècle, et il est très aisé d'imaginer les raisons qu'on a eues de les supprimer. Voilà donc les seuls fondements sur lesquels est établie l'autorité des livres de l'anc. Test. Je sais qu'on répond à cela que le Pentateuque Samaritain dont nous avons parlé, justifie Esdras, et fait voir que les livres sacrés ne sont pas de son invention; je le crois sans peine, et je ne doute pas qu'il ne les ait rétablis du mieux qu'il lui a été possible. Peut-on alors y avoir la même confiance qu'on aurait à des ouvrages originaux? Et les contradictions qui se trouvent entre la traduction des Septantes, la Vulgate et le Pentateuque Samaritain ne fournissent-elles pas le plus fort argument contre l'exactitude tant des uns que des autres.

5. Du N.T.

Voyons maintenant si l'autorité du N.T a quelque chose de plus réel et de moins incertain. Les faits dont il parle se sont passés dans un siècle moins reculé, plus instruit, et nous pouvons facilement nous instruire de la vérité. J'apprends dans ce livre que le Messie est né d'une vierge sous le règne d'Auguste, au milieu de la Judée qui était soumise à l'Empire Romain. Je vois que l'histoire de sa vie n'est qu'un assemblage de miracles éclatants faits aux yeux d'une multitude, et non seulement d'un peuple en particulier, mais de l'univers entier, puisque je vois une étoile quitter sa route ordinaire pour conduire les Mages, le soleil s'obscurcir, les morts ressusciter . La première idée qui se présente à moi est d'aller chercher dans les historiens contemporains de quelle manière ils racontent des faits si surprenants, et quelles raisons ils peuvent alléguer pour avoir persisté dans leur aveuglement, et s'être refusés à la vérité qui se présentait à eux d'une manière si éclatante. Mais je suis bien surpris de voir que quoique ce siècle soit un des plus féconds en historiens et en auteurs de tous genres, aucun ne parle de ces miracles : ils ignorent même jusqu'au nom de celui que nous disons en être l'auteur. Les mêmes historiens [Valèze Maxime, Tite Live, Joseph] qui ne nous ont pas laissé ignorer qu'il avait plu des pierres dans la Syrie, qu'on avait vu des armées combattantes dans les nuées, enfin qui nous ont raconté ces prodiges ridicules, qui n'existaient que dans l'imagination des peuples, ces mêmes gens ne nous ont rien dit des miracles qui s'opéraient de leur temps aux yeux de toute la terre.

Hérode fait, dit-on [Mathieu Ch.2 V.13 et suivant], massacrer tous les enfants au-dessous de trois ans : une pareille inhumanité n'est rapportée par personne ; que dis je ? un seul Evangéliste en parle, et St Luc paraît même le contredire, en disant [Luc Ch.2 V. 39 et 41] qu'aussitôt après la purification Joseph et Marie retournèrent à Nazareth, d'où ils allaient tous les ans à Jérusalem : au lieu que St Mathieu les fait demeurer trois ans en Egypte pour se dérober à la persécution d'Hérode. Dira-t-on qu'une action si folle et si barbare pouvait être ignorée, ou qu'elle n'était pas assez importante pour que les historiens daignassent la transmettre à la postérité ? Je doute qu'on puisse faire une pareille réponse de bonne foi, ni qu'on puisse regarder comme une preuve de ce fait le témoignage de Macrobe qui n'écrivit que 400 ans après, et lorsque le Christianisme était connu de tous le monde.

Une piscine miraculeuse existe au milieu de Jérusalem. Un ange vient de temps en temps en troubler l'eau, et le premier malade qui s'y plonge est guéri. Ce fait mérite quelqu'attention, et ce ne sera point charger une histoire de minuties que d'en faire mention. Cependant il n'en est parlé que dans St Jean, et il le raconte comme un fait tout simple à l'occasion d'un miracle de Jésus-Christ. Je veux bien supposer contre toute vraisemblance que des faits aussi publics ont été ignorés des historiens Romains ; que pourra-t-on répondre au silence de Joseph ? Ces historiens juifs écrivaient environ cent ans après J.-C. et dans le lieu même où toutes ces merveilles avaient été opérées. Cependant, il n'en dit pas un mot, il ne parle pas même de Jésus, si l'on en excepte deux lignes qui ne disent rien, et qui se trouvent dans les exemplaires imprimés de Joseph, mais qui de l'aveu d'un grand nombre des plus zélés défenseurs de la R. Chr. sont ajoutées au texte, et doivent être mises au rang de ces fraudes pieuses que les premiers Chrétiens se permettaient si facilement et qu'on est contraint de désavouer tous les jours. Mais, me dira-t-on, les Evangélistes auraient-ils osé avancer des faits sur lesquels il était si facile de les convaincre de mensonge, et n'auraient ils pas craint de ruiner leur cause en affirmant des choses dont on pouvait démontrer la fausseté ? Il y a deux réponses à cette objection. Premièrement il ne faut pas croire que les relations de la vie de J.-C. fussent alors aussi publiques qu'elles le sont devenues lorsqu'elles ont commencé à former la base de la R. Chr. C'était des mémoires qui se lisaient dans les assemblées des premiers sectateurs. On les copiait, on les réformait, on y changeait, on retouchait même en entier ceux qui s'éloignaient trop grossièrement des autres, en sorte que ce n'est qu'après bien des corrections que les Evangiles sont parvenus à nous dans l'état où ils sont. Il semblerait du moins que, nous représentant toute la vie du même homme, ils doivent être entièrement conformes les uns aux autres : rien moins que cela, ces différentes relations ont si peu d'exactitudes, que dans les faits les plus positifs, elles ne s'accordent point. Nous verrons dans la suite plusieurs exemples assez singuliers de ces sortes de contradiction.

La seconde réponse est que sitôt que ces ouvrages commencèrent à être connus, plusieurs savants les combattirent. La piété industrieuse des Chrétiens ne négligea rien pour supprimer ces écrits ; et à peine savons-nous aujourd'hui les noms de ceux qui se sont opposés à l'établissement du Christianisme. Nous ne les connaissons presque que par les écrits des Chrétiens qui avaient entrepris de leur répondre, et qui ne nous ont conservé quelques-unes de leurs objections que parce qu'ils ont prétendu y avoir parfaitement répondu. Je crois cependant que si nous avions en entier les écrits de Celse, de Porphire, de Jamblic, d'Eunaque, de Julien et d'une infinité d'autres, dont les noms ne sont point parvenus jusqu'à nous, nous trouverions les réponses des Pères bien faibles, du moins si l'on en juge par celles qui nous restent, et qu'ils ne nous ont laissées que parce qu'ils ont crû qu'elles étaient sans répliques.

Il est vrai cependant que ces objections ont fait disparaître et regarder comme apocryphes un grand nombre d'écrits qui dans les premiers siècles étaient au même rang que ceux qui nous sont demeurés. On comptait dans ces premiers siècles du Christianisme jusqu'à 39 Evangiles [Le P. Calmet sur St Mathieu page 11]. On voit même par le 1er et le 2e verset du 1er Ch. De St Luc que beaucoup de gens se mêlaient d'écrire la vie de Jésus. Les choses demeurèrent assez longtemps en cet état, et St Irénée [Irénée Liv.9, Ep.1,1 n°7.8] est le premier qui ait parlé des 4 Evangiles. Seulement il y avait pareillement plusieurs recueils des actes des Apôtres, et plus de 60 apocalypses. Il nous reste plusieurs fragments de ces différents écrits qu'on peut voir dans le recueil de [fabricius ?] : mais revenons à l'examen des miracles de l'Evangile. Nous venons de voir que les plus éclatants ne sont confirmés par les témoignages d'aucun historien contemporain. Mais supposons que par impossible ils les aient ignorés, peut-on croire que les Juifs qui ont dû en être témoins oculaires ne se soient pas rendus à leur évidence et même aient pu traiter Jésus avec ignominie comme un séducteur et un perturbateur du repos public ? On me répond que cette ignominie même prouve la divinité de Jésus, puisqu'elle est prédite par les Prophètes, et on ajoute que la vie de Jésus n'est qu'un tissu d'événements dont chacun est l'accomplissement de quelques-unes des Prophéties de l'ancienne loi.

Je nie formellement que les Juifs aient pu penser que le Messie dut être traité ignominieusement et mis à mort : au contraire ils l'attendaient comme un héros qui devait conquérir toute la terre et lui faire porter le joug de la Judée. C'est de cette sorte que tous les prophètes l'annoncent, et cette idée s'accorde parfaitement avec les biens temporels qui doivent être la seule récompense des Justes dans la loi de Moïse. Je conviens qu'il y a des passages où il est dit que le Messie sera méconnu par son peuple et méprisé mais il y a ici une équivoque qu'il faut éclaircir. Le nom de Messie que les Chrétiens ont si hardiment appliqué à Jésus seul était un nom général qui se donnait à tous ceux qui passaient pour être envoyés de la part de Dieu. Il ne signifie autre chose qu'envoyé, et dans ce sens il s'applique à tous les Prophètes qui exhortaient les Juifs à quitter l'idolâtrie et à rentrer dans la loi de Moïse. Ces Prophètes éprouvèrent souvent la fureur du peuple, et c'est l'exemple qu'ils en avaient qui leur a fait dire en quelques endroits que l'envoyé de Dieu serait en opprobre, afin que si pareil malheur leur arrivait à eux mêmes, cela pût être regardé comme un accomplissement de ce qu'ils avaient prédit. Mais le véritable Messie qu'ils attendaient, qui devait les affranchir pour jamais de toutes leurs captivités, devait selon eux être le vainqueur de toutes les nations, et faire respecter le nom juif par toute la terre ; et il est si vrai que telle était l'opinion des Juifs qu'environ cent ans après Jésus, un juif nommé Bar Kokebas voulant passer pour le Messie ne manqua pas de se conformer à cette idée : il se mit à la tête d'une armée, se révolta contre les Romains, et s'il n'avait pas été vaincu par l'armée d'Adrien, il aurait sans peine été reconnu pour le Messie, d'autant plus qu'il paraissait en avoir tous les caractères. Il prophétisait, il faisait des miracles et faisait cadrer quelques prophéties avec le temps de sa venue, beaucoup plus naturellement que celles que l'on veut s'efforcer d'appliquer à Jésus. Les premiers Chrétiens pour soutenir leur cause firent plusieurs écrits contre ce nouveau Messie : ils voulurent le faire passer pour l'Antéchrist ; et il est visible que l'Apocalypse de St Jean n'a pas d'autre objet. Si cet ouvrage extravagant méritait d'être examiné avec attention, on en trouverait plusieurs preuves, comme lorsqu'on reproche à l'Antéchrist qu'il mutile ses frères et qu'il les marque au front, parce qu'effectivement Bar Kokebas en usait de la sorte afin que ceux qui avaient suivi son parti ne fussent plus en état de l'abandonner sans être connus.

Nous venons de voir que le mot de Messie n'a aucune application qui soit particulière à Jésus. Disons la même chose du nom de Christ. Ce mot fait illusion à bien des gens, mais il est une nouvelle preuve que les Juifs attendaient le Messie Libérateur comme un roi : car il ne signifie que oinct qui est le caractère distinctif de la Royauté ou du Commandement. C'est en ce sens que Cyrus est appelé dans l'Ecriture le Christ du Seigneur, et que Jonathan Machabée est visiblement désigné par Daniel sous le nom de Christ, Duc ou Conducteur du Peuple. Abraham et Isaac sont appelés de même nom en plusieurs endroits de la Genèse. Ainsi donc on ne peut pas dire que ce soit Jésus que les Prophètes ont eu en vue, lorsqu'ils se sont servis des termes de Christ et de Messie, et je crois qu'on peut regarder ce fait comme une vérité incontestable.

Voyons maintenant [contradictions livres N.T. ?] si ces écrits sont revêtus de quelqu'autorité qui puisse les faire regarder comme des histoires exactes. Servons-nous dans cet examen des mêmes moyens que nous employerions pour découvrir la vérité d'une histoire ordinaire, comparons les Evangiles entre eux et avec les auteurs contemporains. Enfin, faisons le plus brièvement qu'il nous sera possible, à l'égard du N.T. ce que nous avons fait à l'égard de l'ancien. Nous n'irons pas loin sans trouver des faussetés prouvées, des impossibilités physiques et des contradictions formelles qui détruisent également l'autorité des uns et des autres de ces écrivains.[**** ***** contradictions ? ***** livres N.T. ?]

La généalogie de Jésus qui est certainement un des points fondamentaux de la religion nous en fournit un exemple bien singulier et si extraordinaire qu'on aurait peine à le croire s'il n'était pas aussi facile de le vérifier.

St Mathieu et St Luc en donnent chacun une différente, et pour qu'on ne croie pas que ce sont de ces différences légères qu'on peut attribuer à méprise ou à inadvertance, je les rapporte ici l'une et l'autre.

Math. Ch.1.
Luc Ch.3.
David
Salomon
Nathan
Roboam
Mathata
Abdian
Menna
Aza
Meléa
Josaphat
Eliakim
Jozam
Jona
Ozias
Joseph
Joathan
Juda
Achaz
Siméon
Ezéchias
Lévi
Manasses
Mathas
Amon
Jozim
Jozias
Eliezer
Jéchomias
Jésus
Hev
Elmadan
Cozan
Addi
Melchi
Néri
Salathiel
Zorobabel
Albiud
Reza
Eliakim
Joanna
Azor
Juda
Sadoc
Joseph
Achim
Semeï
Eliad
Mathatias
Eléazar
Mahat
Mathan
Naggé
Jacob
Hesli
Nahum
Amon
Mathatias
Joseph
Joanna
Melchi
Lévi
Mathan
Heli
Joseph
Joseph
On voit qu'il y a 15 générations de plus dans l'une que dans l'autre, que depuis David elles se séparent absolument, qu'elles se réuni ssent à Salathiel, mais qu'après son fils elles se séparent de nouveau et ne se réunissent plus qu'à Joseph. Dans la même généalogie St Mathieu tombe encore dans une contradiction manifeste avec l'anc. Test. Car il dit qu'Ozias était père de Joathan, et dans les Paralipomènes Livre I. Ch.3. on trouve 3 générations entre eux, savoir Joas, Amazias, et Azarias, desquels St Luc ne parle pas plus que St Mathieu. De plus cette généalogie de Joseph ne fait rien à celle de Jésus, puisque selon notre loi, Joseph n'avait eu aucun commerce avec Marie. Mais, me dira-t-on, est ce qu'on ne répond rien à ces difficultés ? Etes-vous le premier qui les ait faites ? Non sans doute, elles ont été faites plus d'une fois : et voici quelques-unes des réponses. Les uns ont dit que l'un des deux Evangélistes avait apparemment donné la généalogie de la Vierge sous le nom de Joseph , d'autres que l'une des deux généalogies était sans doute non par filiation , mais par adoption. Plusieurs ont dit que Saint Mathieu avait supprimé à dessein quelques rois à cause de leur impiété. Oleariuis savant critique prétend que St Mathieu n'a voulu donner qu'un abrégé de la généalogie de Jésus, et qu'il l'a réduite à 3 quatorzainers pour la rendre plus facile à retenir par coeur . On a peine à croire que de pareilles réponses aient été faites sérieusement . Ce sont cependant les meilleures ,et presque les seules. St Luc dit chapitre 2 verset 1 et 2 que Cyrenius avait le gouvernement de Syrie , lorsqu'Auguste fit faire le dénombrement de tout l'Empire. On va voir combien il se rencontre de faussetés évidentes dans ce peu de mots. Premièrement Tacite ni Suétone , les plus exacts de tous les historiens, ne disent pas un mot de ce dénombrement, qui assurément eut été un événement bien singulier, puisqu'il n'y en eut jamais dans tout l'Empire, du moins aucun auteur ne rapporte qu'il y en ait eu. En second lieu, Cyrenius ne vint dans la Syrie que dix ans après le temps marqué par St Luc, et elle était alors gouverné par Quintilius Varus, comme Tertullien le rapporte, et comme il est confirmé par les médailles. St Mathieu cite quelques fois à faux des passages de l'Qnc.Test. Témoin une prophétie, qu'il rapporte pour être de Jérémie, et qui ne s'y trouve point , mais dans Zacharie chapitre 2 verset 12, ce qui prouve une altération dans le Prophète ou dans l'Evangéliste.Rien n'est si incertain que l'année de la naissance de Jésus-Christ. On compte plus de 40 opinions différentes sur cette époque. La plus commune est qu'il naquit l'an de Rome 748. Ce qui ne peut absolument s'accorder avec St Luc qui dit qu'il avait 30 ans lors de la quinzième année du règne de Tibère. Cette difficulté a tellement embarrassé les commentateurs qu'il y en a qui comptent les années de son adoption pour celle de son règne; ce qui cependant ne s'accorde pas mieux avec l'époque ordinaire. L'heure, le mois, la saison de cette naissance sont aussi peu connus que l'année, et c'est sur une tradition sans fondement qu'on l'a placée la nuit du 25 décembre.

L'année de la mort de Jésus-Christ est encore une source de disputes parmi les chronologistes, et il est bon de faire voir à cette occasion la fausseté d'un fait avancé par quelques défenseurs de la Religion.Ils disent que les ténèbres arrivés à la mort de Jésus, suivant les écrivains évangéliques, ont été aperçus de toute la terre, et que Phlégon en parle dans ses chroniques. Comme ce point est assez important, il est bon de l'éclaircir le plus exactement qu'il sera possible. L'ouvrage de Phlégon ne subsiste plus. Le plus ancien auteur qui en parle est Julien l'Africain qui vivait 86 ans après lui . Il dit simplement que Phlégon rapporte qu'il y eut une éclipse totale sous le règne de Tibère. Origène en parle un peu plus longuement dans son commentaire sur St Mathieu, mais il n'en désigne point l'année, et il ne paraît pas convaincu que cette éclipse ait aucun rapport avec les ténèbres de la mort de Jésus. Il est vrai que dans son traité contre Celse, il change d'opinion, et croit que c'était le même phénomène. Mais il n'en rapporte aucune preuve. Eusèbe va plus loin dans sa chronique sur la 4 ème année de la 202ème Olympiade. Il rapporte le passage de Phlégon que voici :  La 4 ème année de la l202ème Olympiade, il y eut la plus grande éclipse de soleil qu'on ait jamais vu, il faisait nuit à la 6ème heure, et on vit les étoiles, un grand tremblement de terre dans l'Abyssinie renversa presque toute la ville de Nicée .Voilà ce que nous avons de plus précis sur ce passage, et l'on voit que Phlégon regardait ces ténèbres comme une véritable éclipse. Philoponus qui cite aussi ce passage en parle de la même manière. Mais en deux endroits, il l'a place à la 2 ème année de la 202ème Olympiade, et en deux autres à la cinquième alors que nous venons de voir qu'Eusèbe dit que c'est la 4 ème. . On ne peut donc assurer par le témoignage des auteurs qui parlent de cette éclipse quelle année elle arriva , et il importe peu de le savoir puisque Phlégon n'en parle que comme d'une éclipse naturelle, ce qui ne peut avoir aucun rapport avec les ténèbres qu'on dit être arrivées à la mort de J.C. car selon tous les évangélistes, elle arriva au mois de la pleine lune, ce qui ne peut se concilier avec une éclipse de soleil.

Comme ce fait est un de ceux qui ont été le plus débattus, on ne s'en est pas tenu aux éclaircissements qu'on pouvait tirer des discussions chronologiques. On a eu recours à l'astronomie, et suivant les calculs de Kepler, de M. Hodgson, de M. Hassey, et de plusieurs autres, il y a eu la 7 ème année de la 262ème Olympiade une éclipse de soleil à Jérusalem et au grand Caire, et le soleil fut entièrement dans l'ombre à l'heure marquée par Phlégon, c'est à dire à midi et quelques minutes, ce qui ne laisse aucun doute que ce ne soit de celle-là qu'il a parlé : et pour éclaircir entièrement cette difficulté, il ne faut que supposer dans la citation d'Eusèbe ou dans le texte de Phlégon, qu'il s'est glissé un delta pour un alpha, ce qui fait la 4 ème année au lieu de la 1 ème . Si l'on voulait examiner l'heure à laquelle arrivèrent ces ténèbres, on trouverait encore de nouvelles difficultés par les contradictions qui se rencontrent entre les Evangélistes. St Jean dit que J.C. fut condamné à la 6 ème heure, et St Marc dit qu'il fut mis en croix à la 3 ème . Les Pères se donnent bien de la peine pour concilier ces deux passages. St Augustin répond à cette difficulté, en disant que Jésus fut crucifié à la 3 ème heure, mais que ce fut par les langues des juifs qui demandèrent sa mort, quoiqu'il ne le fût réellement qu'à la 6 ème . Voyez le Père Calmet sur St Mathieu . On y trouve un recueil de toutes les extravagances qui ont été dites à ce sujet. Je me suis borné à ce petit nombre d'exemples qui suffisent pour faire voir que les écrits évangéliques ne sont points émanés de Dieu, puis qu'ils sont remplis d'erreurs, de contradictions et de faussetés manifestes, et qu'on ne les doit mettre qu'au rang des histoires ordinaires; encore ne les doit-on croire que lorsqu'elles racontent des choses vraisemblables, et qui ne sont point contredites par les auteurs contemporains. C'est là tout ce que nous accordons aux historiens les plus dignes de foi, - et c'est en effet tout ce qu'on peut exiger de nous en faveur de l'historien le plus accrédité. Mais voyons si les auteurs de l'Evangile méritent que nous ayons cet égard pour eux , et si nous devons avoir aussi pour eux le même degré de confiance que nous avons pour Tite-Live, Tacite ,César, et d'autres historiens contemporains.

Nous avons quatre histoires de la vie de Jésus qui sont attribuées à quatre différents écrivains dont elles portent le nom. Mais si l'on examine la chose avec attention, on y va trouver bien des difficultés et des incertitudes. On ignore absolument qui était St Marc, et les gens un peu versés le regardent comme un compilateur et un abréviateur de St Mathieu , dont il a le plus souvent copié les phrases et les expressions. On croit que St Luc dont il est parlé dans les Actes des Apôtres, est l'auteur de l'Evangile qui porte son nom, mais on en a pas la moindre preuve ; une partie des chrétiens des premiers siècles ont soutenus que l'Evangile de St Jean était supposé. L'original de l'Evangile de St Mathieu n'existe plus depuis longtemps : nous n'en avons qu'une traduction faite par St Jérôme et il parait par un passage de cet Evangile que l'auteur n'a écrit que très longtemps après la mort de Jésus. Car il dit que le sang innocent sera imputé au Juifs depuis le sang d'Abel jusqu'à celui de Zacharie fils de Barachie, qui a été tué entre le parvis et l'autel .Qu'on lise le Père Calmet sur ce passage, il prouve qu'il ne peut s'appliquer à aucun Zacharie mort avant J.C.mais à un Zacharie fils de Barachie qui fut effectivement tué entre le parvis et l'autel, au rapport de Joseph, mais longtemps après la mort de Jésus ; et pour sauver la difficulté qui en résulte, il prétend que Jésus dit cela par un esprit prophétique, et qu'il parle de Zacharie qui doit périr de la sorte, comme s'il avait été déjà tué réellement. Que doit-on penser d'une pareille réponse ? Et les gens sensés ne croiront-ils pas de ce passage, qu'il prouve invinciblement que l'auteur de cet Evangile est postérieur à la mort de Zacharie ?

Nous avons déjà dit qu'il y avait autrefois un bien plus grand nombre d'Evangiles qui sont mis aujourd'hui au rang des apocryphes. Pourquoi ont-ils été d'abord et pendant plusieurs siècles en aussi grande vénération que les autres, et pourquoi ont-ils été rejetés dans la suite? La morale en était-elle moins épurée? Non, voici ce qui les a fait retrancher du canon. Après la mort de Jésus, des sectateurs ou des disciples publièrent un grand nombre de relations de sa vie et de ses miracles, Le mot d'" Evangile " ne signifie autre chose que "bonne nouvelle", ce qui n'est pas à dire nouvelle agréable et heureuse, mais nouvelle véritable, histoire véritable. Chaque écrivain parait la relation de ce titre pour s'attirer la confiance des lecteurs. Ces relations se contredisaient néanmoins en une infinité d'endroits. Les plus sages d'entre les premiers Chrétiens sentirent que cette diversité de témoignages fournissait contre eux un argument invincible.Ils s'assemblèrent et choisirent entre toutes ces histoires, celles qui avaient le plus de rapport entre elles ou qui se contredisaient le moins, ils les adoptèrent et déclarèrent les autres apocryphes.

On trouve cependant dans plusieurs de ces apocryphes qui sont parvenus jusqu'à nous, des passages qui sont cités par les anciens Pères parce qu'ils étaient alors au même rang que les autres, et que leur zèle aveugle leur faisait adopter tout ce qui avait rapport à l'histoire de Jésus.Quelques-uns même n'ont pas fait difficulté de s'appuyer de l'autorité des Sibylles, qui sont de l'aveu de tout le monde un ouvrage postérieur à Jésus et fabriqué dans une tour d'ignorance par quelques uns des premiers Chrétiens.
St Jude parle d'un combat de l'Archange St Michel avec le Diable pour le corps de Moïse, ce qui est tiré des apocryphes. St Augustin, et St Epiphane rapportent le défi que Simon le Magiciens fit à St Pierre, ce qui ne se trouve néanmoins dans aucun des livres canoniques. On trouverait encore, si cela en valait la peine, un grand nombre d'autres passages, qui prouvent que les Pères des premiers siècles confondaient les apocryphes avec les canoniques, avant qu'on eut rejeté les premiers, à cause du peu de fondement et de leur peu de conformité avec ceux qu'on a conservés comme les meilleurs, et qu'on a qualifiés de canoniques.

Une autre raison contribua encore à faire rejetter ces écrits par les gens sensés, c'est qu'ils contiennent une infinité de prodiges ridicules et puériles. L'Evangile de l'enfance par exemple nous raconte que Jésus punit de mort des enfants de son âge qui se moquent de lui parce qu'il fait moins bien qu'eux des petits oiseaux d'argiles.Il anime ensuite ces mêmes oiseaux, et les fait envoler. Il rend à un homme le pouvoir de consommer son mariage, qui lui avait été ôté par maléfice. Il rend la première forme à un jeune homme qu'une magicienne avait changé en mulet. Il allonge en le tirant par les bouts un Marchepied du trône d'Hérode, que Joseph avait fait trop court. Il dessèche la main d'une sage femme qui veut vérifier la virginité de Marie. J'ai honte de rapporter tant de misères. Elles étaient cependant aussi respectées dans les premiers siècles que les miracles qu'on veut nous obliger de croire, et si les premiers Chrétiens plus raisonnables que nous n'en eussent pas senti tout le ridicule, nous croirions ces extravagances aussi fermement que les prodiges rapportés dans les autres Evangiles.

Mais du moins les Evangiles que l'on nous donne aujourd'hui pour véritables sont-ils parvenus jusqu'à nous sans variation et sans altération ? Il n'y a rien de moins sûr, si l'on s'en rapporte aux anciens auteurs. Celse reprochait hautement à Origène que les Chrétiens variaient continuellement dans leurs écrits, qu'ils changeaient le texte de l'Evangile suivant leur besoin, qu'ils se servaient de cet artifice pour nier ce qu'on leur objectait, et pour rétracter ce qu'ils avaient dit. Faustus le Manichéen leur fait aussi le même reproche. Que répond Origène à une accusation si positive? Il dit qu'il est vrai que quelques disciples de Marcion de Valentin et d'autres Chrétiens ont voulu changer et refondre le texte de l'Evangile, mais que cela n'est jamais arrivé aux véritables Orthodoxes, c'est-à-dire à ceux qui étaient de son opinion.Car le christianisme était dès lors partagé en une infinité de sectes dont chacune se disait seule orthodoxe, et qualifiait les autres d'hérétiques. St Epiphane compte l'hérésie de Simon le magicien pour la vingt-et-unième et Tertulien en rapporte vingt-cinq différentes jusqu'à son temps, ce qui prouve l'ambiguité et le peu d'uniformité qu'il y avait dans les premiers écrits des Chrétiens.

Mais ne nous appuyons pas du témoignage des ennemis du Christianisme pour prouver les changements qu'il y a eu dans les écrits évangéliques. Ecoutons St Jérôme lui-même qui dit que de son temps il y avait autant de différents exemplaires de l'Ecriture Sainte qu'il y en avait de copies parce que chacun y ajoutait ou en retranchait à sa fantaisie. Peut-on imaginer un témoignage plus formel des variations qu'ont essuyées ces écrits avant de parvenir jusqu'à nous?

Le sens de ces livres a été encore plus sujet aux variations que le texte. Les Pères de l'Eglise et les premiers conciles l'ont déterminé diversement et ont condamné successivement les opinions qui avaient été les plus accréditées. Origène qui croyait si fermement l'Orthodoxie attachée à ses seuls sentiments est tombé dans plusieurs hérésies, suivant ce qu'on nous oblige de croire aujourd'hui. Clément d'Alexandrie soutenait la transmigration des âmes et croyait la matière éternelle. Jusqu'au Concile de Nicée, le Christianisme n'était qu'un mélange de la Religion juive avec la Philosophie platonicienne. C'est dans cette secte que les Chrétiens ont puisé le dogme de la Trinité. Celui de la présence réelle n'était point connu avant le sixième siècle. Un hermite alors l'imagina, mais sans aucun succès. Ce ne fut que dans le neuvième siècle que Paschase le soutint. On peut voir dans la dispute de Mr. Arnaud et de Mr. Claude l'histoire de l'établissement de ce dogme, aujourd'hui si ancré parmi nous. C'est ainsi que de siècle en siècle de nouvelles variations se sont introduites et qu'elles se sont étendues tant sur les livres que sur la façon de les interpréter, et que les divers conciles ont déterminé les dogmes qui devaient en résulter.

Mais examinons sérieusement ce qu'étaient ces assemblées qualifiées du titre imposant de conciles, qui décidaient des contestations formées entre les différentes sectes et qui fixaient les articles de notre foi: on ne pourra sans horreur achever l'histoire telle qu'on la trouve dans nos auteurs mêmes. Ce n'est qu'un tissu de mauvaise foi, de cabales, de perfidies, de crimes les plus atroces. L'Eglise latine est condamnée comme hérétique dans un concile de trois cent quatre-vingt Evêques que les orientaux appellent le huitième Concile universel. Les Latins font ensuite condamner l'Eglise grecque par un concile de cent-deux Evêques, qu'ils appellent pareillement le huitième Concile universel. Dans celui de Constantinople Plotius est déposé, et sa condamnation signée avec une plume trempée dans le calice. Dix ans après, un nouveau concile annule ce qu'a fait le premier et rétablit Plotius. C'est l'Empereur Basile qui dicte les Décrets de ce Concile. Constantin se fait l'Arbitre des démêlers des Evêques dans le concile de Nicée; il fixe la signification du terme de consubstantialité. Théodose décide les plus importantes questions sur la trinité, il juge les deux factions qui partageaient le Concile d'Ephèse : les démêlers de St Cyrille avec Nestorius dans ce concile ne peuvent se lire sans indignation: c'est toujours le parti le plus fort ou celui de l'Empereur qui décide. Enfin le détail de ces premiers Conciles est plus odieux cent fois et plus scandaleux que celui des Conciles des derniers temps, dont on découvre à la vérité les mobiles et les pratiques artificieuses, mais qui sont remplis de moins de noirceur et d'indignité.

Je n'en dirai pas davantage sur ces conciles, dont on peut voir le détail dans l'ouvrage du Père Labbe. Mais je suis assuré que l'homme le plus prévenu en la faveur de la sainteté de ces assemblées ne les saurait lire sans trouver à chaque instant de nouvelles occasions de scandale. Les Evêques de Rome qualifiés du titre de souverains Pontifes fourniraient encore une ample matière à nos réflexions. On voit le Pape Formose déclaré hérétique par son successeur. Les trois suivants réhabilitent sa mémoire; le quatrième le fait exhumer et traite son cadavre avec la dernière indignité. Mais ces faits particuliers ne font rien à la cause présente, non plus que les désordres effroyables dans lesquels se sont plongés presque dans tous les temps ces Chefs de l'Eglise Romaine, parce que le dérèglement des moeurs n'influe point sur la bonté de la Doctrine. Cependant on ne peut s'empêcher de considérer que c'est l'autorité de ces hommes abominables réunie à celles de ces assemblées que nous venons de dépeindre qui est la règle de notre foi. Ce sont là les organes par lesquels Dieu nous explique Sa Volonté. C'est en vérité trop humilier la raison, trop abaisser l'humanité et trop avilir la Divinité que d'avoir de pareils sentiments. C'est pourtant cet assemblage monstrueux qu'on a revêtu du nom imposant d'Eglise universelle, et c'est cette Eglise qui nous a assujettis à un joug auquel on nous veut faire croire que c'est un crime de résister.

Si nous joignons à ces réflexions les preuves qui ont été rapportées plus haut du peu de confiance qu'on doit avoir aux écrits tant de l'Ancien que du N.T. nous verrons que ce superbe édifice n'est que l'ouvrage de quelques hommes fourbes et ignorants, qui de même que les fondateurs de toutes les Religons de la Terre ont abusé de la crédulité du peuple pour le plonger dans la plus honteuse superstition.

Loin donc ce respect aveugle qui captivait notre raison, qui étouffait la vérité. Pénétrons ce chaos de mystères dont l'incompréhensibilité seule faisait tout le mérite. Faisons un portrait sincère de cet amas d'opinions bizarres, qualifié du nom de Religion chrétienne. Peignons-nous le Créateur de ce vaste Univers qui fait sortir du néant le premier homme pour le rendre éternellement malheureux. Il place cette créature l'objet de son amour dans un jardin délicieux, dont il lui permet l'usage, à l'exception d'un seul fruit. Sans doute lui qui a formé le coeur de l'homme et ses pensées, il n'a pas manqué de lui donner assez de vertu pour résister à la tentation de goûter ce fruit? Au contraire il lui en a donné un si violent désir, qu'il y succombe malgré tous ses efforts. Mais du moins une peine légère suffira pour expier une faute si pardonnable? Point du tout, la mort ne suffit pas, un châtiment éternel n'est point encore assez, tous ses descendants, sa postérité entière, tous les hommes qui naîtront dans la suite des siècles en porteront la peine, et la vengeance d'un Dieu si bon, si juste, si miséricordieux, veut qu'une damnation éternelle de tous ceux qui sont nés de lui en soit la punition. Mais ne leur reste-t-il aucun moyen de se garantir d'un supplice si affreux et si peu mérité? Non, jusqu'au temps de Noé ils ne peuvent espérer aucune réconciliation.

Que font-ils donc alors pour mériter cette réconciliation? A quelle pénitence se sont-ils soumis pour fléchir un Dieu irrité? Ils se livrent aux plus grands excès et aux crimes les plus abominables. Enfin, ils les portent au point que Dieu se repent d'avoir fait l'homme, et qu'il se détermine à les faire tous périr par un déluge universel. Alors la vengeance de Dieu est assouvie et contente, il va faire une alliance éternelle avec les hommes. Il pose dans les nues, pour toujours, l'arc dont il se servait contre eux, et donne à Noé qu'il a sauvé du déluge avec sa famille, le moyen de contracter cette alliance. Le moyen est aussi puéril que le premier sujet de colère était léger. Il ne s'agit que de circoncire les enfants mâles, cela efface tout d'un coup le crime de leur premier père. Mais malheur à celui dont les parents ont négligé cette cérémonie. Malheur à celui qui n'est pas né dans le coin de l'univers où cet usage est connu. Son arrêt est prononcé, et il est condamné au feu éternel pour n'avoir point suivi une loi, dont il n'a jamais eu ni pu avoir connaissance.

Dieu ayant établi une union aussi solide et aussi respectable entre lui et les hommes, se repent de sa cruauté passée, il promet qu'il n'exterminera plus une seconde fois le genre humain parce qu'il reconnaît qu'il a un penchant invincible pour le mal.
Il accorde au peuple une protection particulière. Cependant ce malheureux peuple tombe sous la domination des Egyptiens et pendant plusieurs siècles il subit le joug le plus accablant. Un d'entre eux que le hasard a fait élever à la cour du roi d'Egypte, entreprend de tirer sa nation de l'esclavage. Il étonne l'Egypte par les miracles les plus effrayants pour déterminer Pharaon à laisser sortir les Israélites. Mais Dieu a soin d'endurcir le coeur de Pharaon en sorte qu'il y résiste. Moïse les emmène cependant, il leur fait traverser la mer Rouge à pied sec, engloutit l'armée qui les poursuivait, les nourrit miraculeusement dans le désert, fait sortir l'eau des rochers. Enfin chaque jour est marqué par un prodige nouveau qui prouve invinciblement que Moïse n'opère que par l'ordre de Dieu. Les Juifs sont sans doute dans une admiration continuelle, ils adorent le Dieu qui leur est annoncé par un homme dont la mission est autorisée par des miracles si frappants? Rien moins que cela. Ils murmurent continuellement contre lui, ils se plaignent, ils regrettent leur esclavage, ils lui demandent des dieux visibles et palpables, ils fondent un veau d'or, et sitôt que Moïse est éloigné d'eux pour quelques jours, ils se plongent dans la plus affreuse idolâtrie.

Tel est le caractère de ce pleuple chéri de Dieu! Peut-on entendre tranquillement de pareilles extravagances, et ne vient-il pas dans l'esprit de l'homme le moins soupçonneux de demander si des faits si incroyables sont revêtus d'une autorité suffisante pour nous obliger à les croire aveuglément? Quoi sur la seule parole de l'auteur de ces prétendus miracles? Que dis-je? Sur celle d'Esdras qui nous a transmis tous les livres de la Loi, nous devons croire des histoires si peu vraisemblables? Et quoiqu'aucun auteur n'en parle? Que l'Egypte garde un profond silence, nous étouffe toutes les lumières de notre raison pour nous soumettre à des fables aussi ridicules? C'est en vérité trop présumer de la crédulité et de l'imbécillité des hommes.

Suivons encore ce peuple, nous le verrons à chaque instant renoncer à cette Religion authentique pour prendre les Dieux de ses voisins : ils iront sacrifier sur les hauts lieux, ils maltraiteront les prophéties, ils résisteront à tous ces miracles, quelques frappants qu'on nous les dépeigne, aux prophéties qu'on nous assure être si positivement accomplies, enfin ils se plongeront dans les plus horribles excès de toutes sortes de débauches et de toutes sortes de crimes.

Ces abominations ne suffisent pas cependant pour armer la colère de Dieu. Il se contente de continuer à damner éternellement tous ceux qui sont incirconcis à cause qu'ils descendent d'Adam. Il fait périr par la peste la plus grande partie des Israélites, parce que David en avait fait faire le dénombrement sans imaginer que cela pouvait déplaire à Dieu. Mais il se garde bien de punir un peuple rebelle, qui au mépris de sa bonté et de sa patience ne cesse point de l'offenser. Bien loin de là, voici un de ces mystères sublimes qui sont au-dessus de la raison humaine. Ce Dieu avait de toute éternité un fils. Depuis quatre ou cinq milles ans que le monde était créé, personne ne savait que ce fils existait : il paraît aujourd'hui, son Père le destine à racheter par sa mort le Salut des hommes, il veut qu'il expie toutes leurs fautes et qu'il en porte la peine, il le fait descendre du ciel pour se revêtir de la nature humaine. Ce fils émané de dieu, égal à son Père, Dieu lui-même, doit naître d'un sang exempt de toute tache. C'est le sang de David qui est choisi. David commet un adultère avec Bethzabé, dont il fait tuer le mari; c'est de cette source pure, selon St Mathieu, que le fils de Dieu prend naissance. Il est vrai que Joseph descendant de David par Salomon, selon les uns, et par Nathan, selon les autres n'est que le mari de la mère de Dieu. Mais pour faire croire que Dieu a voulu réellement participer au sang de David, on suppose gratuitement que Marie pouvait être parente de Joseph, et par conséquent descendre aussi de David, et cela sur le seul fondement qu'ils étaient de la même tribu : c'était le seul moyen de le faire descendre de David: car on assure que Joseph n'eut aucune part à la naissance de Jésus, et que ce fut une troisième portion de Dieu inconnue jusqu'alors qui par ordre de la première forma la seconde dans le corps de Marie. Celse raconte cette histoire d'une manière qui l'accorde un peu mieux avec la bonne physique. Il prétend que Marie eut affaire avec un soldat nommé (Pantheze?) que Joseph courroucé de la grossesse de sa femme, à la quelle il était sur par de bonnes raisons de n'avoir pas contribué, la chassa de chez lui, quelle se sauva en Égypte avec son fils, que ce fils y apprit l'******* connu des égyptiens de faire des prestiges qui en imposaient au peuple, et qui passèrent facilement pour des miracles parmi les juifs dont le caractère dominant était la crédulité et la superstition. Il faut avouer qu'il parait y avoir bien du naturel dans ce trait historique qu'Origenes n'a pu nous cacher, parce que c'était un reproche que de son temps on faisait communément aux chrétiens.

Enfin donc de quelque manière que ce soit le fils de dieu coéternel à son père se fait homme; il meurt du dernier supplice pour satisfaire à la vengeance que son père voulait exercer sur le genre humain. Quel effet produit le sang d'une victime si chère. Voila sans doute tous les hommes réconciliés pour toujours avec leur créateur la damnation éternelle est révoquée? nullement.
Le péché d'Adam subsiste et continue d'être imputé à sa postériorité. Jésus substitue seulement le baptême à la circoncision, il change le culte établi et suivi jusqu'à lors et forme un assemblage monstrueux de dogmes les plus contraires à la raison, [Platon] il emprunte des voyageurs ses principaux mystères, ce n'est plus un Dieu seul et indivisible qu'il faut adorer, 3 personnes égales en puissance et avec tous leur attributs composent la nouvelle divinité, et c'est une de leur personnes qui s'est revêtue d'un corps mortel pour expier le crime d'Adam, sans quoi la colère divine n'aurait connu de bornes. Mais qu'aurait donc pu faire ce dieu irrité pour porter la vengeance plus loin? il aurait extermine tous les hommes me dira-t-on. Mais cela peut-il se comparer au feu éternel auquel il les a condamnés en naissant? Eh bien il les aurait tous damnés irrévocablement. C'était donc là du moins ce que sa colère pouvait imaginer de plus terrible. Qu'on y réfléchisse au moins un moment et l'on va voir combien il s'en faut peu qu'il ne l'ait exécuté.
On avouera que dans les principes de l'Évangile c'est beaucoup si de vingt chrétiens il y en a un de sauvé. Supposons le néanmoins, et joignons ce calcul à celui que nous avons fait plus haut du petit nombre de chrétiens, nous trouverons qu'a peine sur 1000 hommes il y en a un seul de sauvé. Voila donc a quoi se réduit cette grande bonté du créateur, et c'est pour nous obtenir une grâce si singulière qu'une portion de lui même s'est fait chair et est venue périr du dernier supplice, quelle sublimité de raison! quelle profondeur de sagesse!

Une si auguste victime ne suffit pas encore pour mériter un tel excès de bonté: il faut que le même sacrifice se répète à chaque instant. Il est vrai qu'il devient aux hommes d'une utilité infinie. Le plus chétif des humains veut-il guérir d'un mal léger? veut-il retrouver une chose perdue il a recours au même sacrifice. L'appareil est bien plus considérable. Un prêtre le plus souvent noyé de crimes, par le moyen de 4 ou 5 paroles mystérieuses change un morceau de pain en cette même portion de divinité, et l'offre de nouveau à son père en sacrifice. On croira peut-être que ce sacrifice est seulement typique ou figuré? mais il est réel, ce pain est effectivement dieu et ce dieu meurt réellement pour obtenir de son père qui est la même chose que lui, la guérison d'une misérable créature! Que devient ensuite ce corps divin? Le même prêtre le mange, et il se fait par jour un million de pareils sacrifices.

La raison se révolte quand on examine de sang froid de telles impiétés. Jamais la plus grossière idolâtrie n'a rien imaginé de si indigne de la divinité. Leurs simulacres n'étaient du moins que l'image d'un dieu qu'ils adoraient dans le ciel; mais chez les chrétiens le morceau de pain est dieu lui même, et ce n'est que par le feu et par la foi qu'on doit en convaincre ceux qui ont la témérité d'en douter.

Voila un portrait naïf et fidèle de la religion des chrétiens. Mais on a beau en sentir le ridicule, l'homme industrieux a se tromper met tout en usage pour résister à la raison et ne lui point sacrifier de préjuges et une opinion à laquelle il est accoutumé dès l'enfance. Il se dit à lui même que ces mystères inconcevables sont annoncés par de prophéties claires et sensibles, que l'on trouve dans ces prophéties tout le plan de la religion et que c'est la preuve incontestable de la divinité qui ne permet plus de raisonner sur le ridicule que nous croyons trouver dans les dogmes et dans ses mystères. Eh bien, forçons ce dernier retranchement de la crédulité! détruisons jusqu'à la dernière pierre de ce bâtiment fantastique, portons le flambeau de la Vérité dans ces ténèbres, que la fraude et l'ignorance ont rendues plus épaisses encore que l'éloignement des (temps?). Examinons en détail les plus fameuses de ces prophéties, et attachons nous plus particulièrement à celles qui portent les caractéristiques les plus marqués de l'évidence de la divinité.

Commençons par un principe de doute et d'incertitude qui s'étend sur tout les livres de l'Anc. Test. et que personne ne peut contester. La langue hébraïque s'écrivait autrefois sans les voyelles, il n'y avait que les seules consonnes et c'était la tradition et l'usage qui apprenaient comment il fallait placer les voyelles pour la lire et la prononcer. Cela est si vrai que les anciens manuscrits de la Bible sont écrits sans point, c'est à dire sans voyelle, et que plusieurs exemplaires imprimés sont dans les mêmes cas, témoins ceux dont les juifs se servent aujourd'hui dans les synagogues. On conçoit facilement combien cela peut produire de différences et de variations entre les sens dans lequel ces livres ont été écrits et celui dans lequel nous les lisons et les avons traduits. Les juifs différent de nous à cet égard dans plusieurs passages, et nous accusent hautement d'avoir changé et corrompu le sens. Mais je ne ferai point usage de cet argument qui demande une parfaite connaissance de la langue hébraïque.
D'ailleurs on n'a pas besoin d'y recourir pour découvrir la fausseté ou la supposition de ces prophéties, dont on nous veut faire croire que la Religion Chrétienne tire de si grands avantages.

Commençons par éclaircir l'opinion attachée à ce mot de prophète: sa seule signification est prédicateur ou exportateur; c'était en effet l'unique fonction des Prophètes: ils exhortaient le peuple à retourner au culte du vrai Dieu, le menaçaient de châtiments s'il persistait dans son infidélité, leur promettaient des récompenses s'il rentrait dans son devoir. Ce sont ces promesses et ces menaces, faites au hasard et presque toujours démenties par l'événement qui ont souvent passé pour des prédictions, et dont les chrétiens ont imaginé d'appliquer quelques une à J.C. Il est si vrai que ces promesses et ces menaces étaient souvent sans effet, qu'on voit dans Jonas qu'il prédit que dans 40 jours Minive sera détruite. Mais comme cela n'arriva point, il dit que Dieu touché du repentir des minivites [Basuage? 169B p255] révoqua son décret. Il ajoute ensuite que lui Jonas en murmura contre Dieu, et que prévoyant ce retour de miséricorde, il s'était sauvé à Tarsis pour éviter les reproches de son mensonges.

Jérémie promet formellement, de la part de Dieu à Sédécias qu'il mourra en paix: cependant on lui crève les yeux après avoir égorgé ses deux fils en sa présence. Veut on une preuve que les Prophètes ayant éprouvé plusieurs fois cette contradiction entre l'événement et ce qu'ils avaient annoncé, se ménageaient des excuses en cas qu'ils se trompassent? Ezécheil dit: S'il advient que le Prophète soit séduit, c'est moi, l'Éternel qui l'aurai séduit . Peut-il y avoir une preuve plus positive de la défiance où ils étaient eux mêmes de ce qu'ils osaient avancer? Mais Venons à ces prophéties qui désignent à ce qu'on prétend d'une manière si précise et si claire le temps et les circonstances de la naissance et de la mort de J.C.

La première, et qui passe pour une des plus authentiques, est celle de Jacob qui dit que le sceptre ne sortira point de Juda que le Messie ne soit venu [genese ch. 49 v. 8]. Il ne faut pour faire sentir la faiblesse de cette prophétie que rapporter quelques unes des différentes manières dont on traduit ce passage. Les uns l'expliquent que: l'autorité sera pour jamais dans Juda lorsque le Messie sera venu; d'autres que: le peuple de Juda sera dans l'affliction jusqu'à ce que l'envoyé du seigneur vienne la terminer; d'autres jusqu'à ce que la ville de Silho soit détruite; d'autres: l'autorité sera dans Juda lorsque l'arche ne sera plus pour Juda; d'autres: jusqu'à ce que l'envoyé reçoive, dans Silho, la puissance souveraine. On voit par la diversité de ces traductions, combien il y a d'obscurité dans le texte. Mais prenons la dans le sens le plus favorable, cette prédiction toute vague qu'elle est, est visiblement fausse. Car les juifs se sont trouvés plusieurs fois sans chef et sans Roi dans leur diverses captivités et Hérodes qui était leur roi lors de la naissance de Jésus, n'était pas de leur nation mais idunéen. [Joseph]

Une de leur plus fameuses ensuite est celle de Isaie qu'on oppose à chaque instant aux incrédules, la voici: une vierge concevra et enfantera un fils nommé Emmanuel. On y voit clairement la naissance miraculeuse de Jesus. St Mathieu n'hésite pas à la citer comme une prédiction formelle qui regarde J.C On va être bien surpris lorsqu'on ira chercher ce passage dans Isaie et qu'on y trouvera toute autre chose. Voici de quoi il s'agit. Le prophète assure Achaz qu'il n'a rien à craindre des enfreins des rois d'Israel et de Syrie, et il lui dit que pour signe de la vérité de la prédiction, le seigneur lui a apparu et lui a dit que la femme concevrait et enfanterait un fils qui sera nommé Emmanuel Et qu'avant que cet enfant fut en âge de discerner le bien et le mal, le pays d'Achaz serait délivré des rois d'Isra l et de Syrie. On voit combien ce passage a peu de rapport avec la naissance de Jésus, et les plus larges critiques, tels que l'abbé d'hauteville, ont mieux aimé passer cette prophétie sous silence que d'en faire mention, sentant que c'était abuser trop grossièrement de la crédulité des hommes. Peut-on assez admirer que St Mathieu ait ose en faire une aussi ridicule application, et que des gens assez habiles d'ailleurs ayant assez de faiblesses pour suivre son exemple?

Le même Isaïe nous fournit encore une de ces prophéties victorieuses [Isaie ch 50 et suivants]; ou on y voit clairement, dit-on, la mort et les souffrances de JC. Qu'on examine ce passage avec attention, on y verra que le récit de tous les tourments que Jeremie aura essuyés. Grotius l'un des plus zèles défenseurs de la rel. chr. est obligé d'en convenir [Grotius de verit. relig. lib **. n°. 19.]. Mais pour conserver à ce récit un air de divinité, il a ajoute que Jérémie est l'emblème et le type de Jésus, et que ce qui arrive a l'un était une figure de ce qui devait arriver à l'autre. Voila à quoi on est réduits quand on veut employer son esprit et ses lumières a soutenir des choses aussi peu raisonnables.

La fameuse prophétie des 10 semaines de Daniel est encore du nombre de celles dont on éblouit ceux qui craignent d'entreprendre une discussion qu'ils croient trop pénible, et qui aiment mieux croire tout aveuglement que d'entrer dans le moindre examen. Je me garderais bien de rapporter les différentes opinions des savants sur cette prophétie. C'est une chose singulière que de voir combien il se sont donnés la torture pour la faire un tant soit peu quadrer avec la naissance de Jesus. Il y a plus de 50 opinions sur ce sujet sans qu'aucune ne puisse satisfaire l'espoir le moins difficile. Ce qu'on peut dire de plus vrai du passage qui contient cette prophétie, c'est qu'il a été visiblement ajouté au texte de Daniel pour faire croire aux juifs que Jonathan était le messie, ou l'envoyé de dieu, un conducteur qui devait les faire triompher de leurs ennemis. Il n'y a qu'à lire ce qui précède et ce qui suit immédiatement cette prétendue prédication pour voir clairement qu'elle a été ajoutée et pour peu qu'on veuille examiner avec attention et bonne foi la chronologie de ces temps, on trouvera que les soixante-dix semaines finissent précisément au temps de Jonathan Machabée cent trente ans avant J-C.

Si l'on consulte sur ce point Abbadie [*Abbadie p. 480.] ce zélé protestant, et l'un des meilleurs défenseurs de la religion chrétienne, on verra qu'il réduit toutes ces différentes opinions à sept seulement, qui veulent sur le temps auquel doivent commencer les soixante-dix semaines ; et il dit que la providence l'a permis ainsi, afin que notre foi ne dépendît pas d'une supputation de chronologie. Veut-on de nouvelles preuves que cette prophétie n'a aucun rapport à J-C et que l'application qu'on en a faite est nouvelle ? C'est qu'aucun évangéliste n'a imaginé de s'en servir, quoiqu'ils connussent parfaitement Daniel qu'ils ont cité pour des initiés. Saint-Mathieu qui a été cherché les applications les plus détournées n'eut garde de parler de cette prophétie de Daniel parce qu'il était trop manifeste alors que le temps qu'elle désignait était expiré depuis plus d'un siècle. Par la même raison, les premiers pères de l'Église n'en ont point parlé, et ce n'est que depuis qu'un éloignement plus considérable a augmenté l'obscurité de ces temps reculés, qu'on a imaginé différents systèmes pour l'accommoder à la naissance de Jésus.

Je n'ai voulu rapporter que les principales et les plus authentiques de toutes les prophéties : car ce serait un trop grand travail de les examiner chacune en particulier. Je puis néanmoins assurer avec vérité que j'ai choisi celles qui ont toujours été regardées comme les plus formelles et les plus précises. J'aurais eu cependant encore bien plus d'avantages à combattre les autres ; comme lorsque Saint-Mathieu prétend que la fuite en Égypte et le retour de Jésus sont prédits par Ozée [Ozée Ch.11. v.2.], lorsqu'il dit que Dieu a rappelé son peuple d'Égypte, et plusieurs autres de la même force. Le même évangéliste va jusqu'à citer des prédictions qui ne se trouvent en aucun endroit de l'Écriture. Il dit par exemple, Jésus vint habiter à Nazareth afin que cette prédiction fut accomplie, il sera appelé Nazaréen. [Math Ch.2. v.23.] Cependant cette prophétie ne se trouve nulle part. Que doit-on penser de pareilles autorités ? Et ne faut-il pas avouer que ceux qui se sont si fort appuyés sur les prophéties l'ont fait par ignorance ; ou par infidélité ?

Si je n'avais par résolu de me tenir dans des bornes très étroites, je mettrais ici dans tout son jour le système d'un très habile homme, sur l'ordre suivant lequel les prophéties devraient être rangées [M.***** contre Maulin Gentilh. de Rouen], ce qui en rendrait l'explication fort simple et fort naturelle. Qu'on ne regarde pas comme une témérité de changer l'ordre de la vulgate à ce sujet. Car il y a déjà trois façons toutes différentes de les arranger. La première suivant Saint-Jérôme ou la vulgate ; la seconde suivant les rabbins ou l'usage des synagogues, et la troisième suivant Esdras [Esdras Liv.4. Ch.1. v.39.]. Cette diversité nous autorise à proposer un quatrième arrangement que voici : Nahum, Ozée, Amos, Abdias, Babacue, Sophonie, Michée, Jérémie, Isaïe, Joël, Daniel, Ezechiel, Baruch, Aggée, Zacharie, Esdras, Jonas, Malachie ; ces arrangements s'accordent avec l'histoire mieux que tout autre. Le but de Daniel et d'Ezechiel était le même : c'était de faire passer Jonathan Machabée pour le Messie Libérateur du peuple juif. Barkokebas longtemps après servit les mêmes prophéties, et prétendit que les péchés d'Israël avaient suspendu jusqu'à lui l'effet des promesses de Dieu. Mais ayant été défait et son parti détruit, ainsi que l'avait été celui de Jonathan, les prophéties de Daniel tombèrent dans un mépris général, et elles ne reparurent avec une sorte d'éclat, que lorsque les chrétiens imaginèrent longtemps après J-C d'appliquer au temps de sa venue les soixante-dix semaines de Daniel et les quatre cent trente ans du sommeil d'Ezechiel.

Je ne dirai rien de plus sur les prophéties. Mais s'il y en avait quelqu'une, outre celle dont j'ai parlé, qui demandât une explication particulière, j'offre de faire voir qu'elle est aussi mal fondée que les autres, ou que c'est une de ces prédictions vagues qui ne manquent jamais d'avoir leur accomplissement tôt ou tard, comme lorsqu'on annonce la destruction ou la décadence d'un empire.

Il est temps maintenant [martyrs miracles] de répondre à deux objections qu'on ne manquera pas de me faire encore. Ces dogmes si bizarres, me dira-t-on, ces mystères si contraires à la raison, ces faits que vous jugez supposés, ont trouvé des sectateurs qui n'ont pour craindre la mort pour en soutenir la vérité qui ont scellé de leur sang la foi qu'ils professaient. Cela est vrai : mais il ne faut pas croire qu'il y en ait eu une si prodigieuse quantité car Origenes convient que le nombre des martyrs était beaucoup moindre qu'on le croyait. Les anciens grecs parlent de la même manière, et ce n'est que dans des temps d'obscurité et d'ignorance que des moines oisifs ont fabriqué ces martyrs volages ridicules dont les savants découvrent tous les jours la fausseté et la supposition. J'accorde cependant qu'il y a beaucoup de martyrs : que doit-on conclure ? Quelle est la religion si misérable qui n'a pas eu ses martyrs ? Qu'on lise les histoires, et l'on verra que chaque siècle en fournit cent exemples. Jusqu'où l'extravagance des hommes ne s'est-elle pas portée ? On a vu, et presque de nos jours des martyrs de l'athéisme professer jusqu'au dernier soupir une doctrine qui leur était toute espérance d'une récompense dans une autre vie. Dira-t-on après cela que les martyrs prouvent quelque chose en matière de religion ?

Pour dernière ressource on m'objectera les miracles. Mais voyons quelle preuve on peut en tirer en faveur de la religion chrétienne. Premièrement de quelle autorité sont-ils revêtus ? Esdras nous atteste la vérité de l'Ancien Testament puisqu'il nous assure que c'est Dieu même, qui lui a dicté ces Livres Saints, tels qu'il nous les a transmis. Peut-on dire que ce témoignage soit suffisant ? Supposons néanmoins que ce prêtre de la loi ait su par coeur ces Livres Saints, que sa mémoire lui ait été fidèle, enfin que tous ces livres soient des auteurs dont ils portent le nom, quoique le contraire ait été démontré plus haut ; que peut-on en conclure ? C'est Moïse lui-même qui nous raconte les miracles qu'il a faits, dois-je le croire aveuglément ? Mais, me dira-t-on, ils ont été faits aux yeux de tout un peuple, qui nous le dit ? Ce même Moïse, et je ne veux pour le convaincre d'imposture par lui-même que le récit naïf qu'il nous fait des infidélités continuelles de ce même peuple, qui sans doute, n'aurait pas été assez aveugle et assez obstiné pour résister à des signes aussi visibles de la volonté de Dieu. Mais, ajoute-t-on, (car il n'est point d'extravagance à laquelle on ait recours) Dieu en durcissait leur coeur et les rendait sourds à sa voix. Peut-on sans horreur entendre un pareil discours ? Quoi ! Dieu choisit dans tout l'univers un peuple auquel il veut donner des marques particulières de se bonté, il interrompt pour eux à chaque instant l'ordre de la nature par les miracles les plus éclatants, et en même temps il les force à une ingratitude involontaire en endurcissant leur coeur et en éteignant jusqu'aux moindres lumières de leur esprit ? C'est en vérité donner à la divinité les sentiments de plus méchant et du plus extravagant de tous les hommes. Qu'est-ce donc qui nous force à recourir à un si étrange paradoxe ? Un anonyme qui nous raconte historiquement des faits dont il prétend être bien instruit.

Les miracles de Josué sont-ils plus dignes de foi ? Les murs de Jerricho renversés par le son des trompettes, le soleil arrêté au milieu de sa course, ce sont des événements dignes de l'attention de tous les hommes ; mais si nous ne les apprenons que par l'auteur inconnu du livre de Josué, si même nous n'avons ce livre que par la copie qu'Esdras en a faite de mémoire, sera-t-il raisonnable de croire ces prodiges sur de pareils témoignages ? On sent assez que la même chose peut se dire de tous les autres miracles de l'Ancien Testament. Sommes-nous donc mieux fondés à croire ceux du Nouveau ? Les hommes ignorants dont on connaît à peine le nom, sans qu'on sache même le temps auquel ils ont écrit nous ont laissé la vie de Jésus : c'est sur leur parole que nous devons croire les prodiges qu'ils nous racontent. Le soleil obscurcit miraculeusement, les sépulcres ouverts, les morts ressuscités, un astre brillant prenant dans le ciel une route nouvelle ; tous ces événements arrivent dans le siècle le plus éclairé, le plus fécond en historiens ; aucun n'en dit mot. Cependant, il les faut croire sur la foi de trois ou quatre anonymes qui en parlent très diversement et dont quelques-uns prétendent avoir été disciples de l'auteur de ces miracles.

Croyons donc aveuglément tous les miracles du paganisme, ils ont un fondement plus réel, ils nous rapportent des oracles que l'événement a justifié. Tite-Live et Valeze Maxime nous racontent cent prodiges opérés à la vue de tout un peuple, pourquoi les révoquerions-nous en doute. Apollone de Thyanes fait aux yeux des Romains plus de miracle que Jésus, il guérit les malades, il ressuscite les morts, il remplit la Grêce, l'Italie, l'Égypte, les Indes de son nom, il désigne à Éphèse le moment où Domitien est tué à Rome, il ressuscite lui-même et apparaît, non aux yeux de quelques disciples fourbes, ou fanatiques, mais en présence de toute une armée, il se montre à l'empereur Aurélien et le force à lever le siège de Thyanes. Maxime, Moevagenes et Damise trois de ses disciples recueillent les preuves de ces prodiges dont ils ont été les témoins oculaires, et Philostrate [Philostrate liv.4.5. et 7.], par ordre de l'empereur en fait l'histoire. Les miracles de Jésus sont-ils plus éclatants ? Sont-ils revêtus de témoignages plus authentiques ? Cependant, nous voulons admettre les uns et rejeter les autres. Nous traitons de prestiges et supercheries les miracles des autres religions, et nous voulons qu'on croie véritables ceux de la nôtre. N'est-il pas plus raisonnable et plus sûr de rejeter également les uns et les autres, puisque sans aller fouiller dans l'Antiquité la plus reculée, nous voyons tous les jours les exemples les plus humiliants de la crédulité des hommes ? Combien trouvons-nous de gens, de la probité et de la bonne foi desquels on ferait scrupule de douter, qui nous attestent des guérisons miraculeuses, dont ils se persuadent d'avoir été les témoins. Faisons l'application de ce que nous voyons arriver aujourd'hui à ce qui est vraisemblablement arrivé dans toutes les religions, dans tous les pays, et dans tous les siècles, et concluons que les martyrs et les miracles ne fournissent aucune preuve en faveur d'une religion, puisque les uns et les autres se trouvent également dans toutes.

[*. Conclusion.]

Qu'a donc la religion chrétienne de plus que les autres pour mériter qu'un homme raisonnable et dépouillé des préjugés de la naissance lui donne la préférence sur les autres ? On ne pourra plus dire qu'elle est prouvée par l'accomplissement des oracles, et appuyée sur des faits historiques dont la vérité est évidente : nous avons examiné l'un et l'autre de ces fondements avec assez de détails et de discussion pour être assurés que pour les prophéties, elles sont véritablement fausses, soit par l'application forcée qu'on en a faite, soit par le changement des termes ou de la ponctuation de l'hébreu, soit enfin, par la supposition des passages. On peut même s'étonner de ce qu'après avoir mis ces moyens en usage, on ne nous présente des prophéties plus embarrassantes car si l'on voulait examiner tous les oracles du paganisme qui se trouvent dans les auteurs profanes, on y trouverait des prédictions bien plus singulières et bien plus positives, quoiqu'elles soient l'ouvrage de quelque prêtre imposteur ou l'effet du pur hasard comme monsieur Vandale et monsieur Defontenelle [Vandale de oraculis. fontenelle] l'ont prouvé sans répliques dans les ouvrages qu'ils ont fait sur cette matière. Pour ce qui est de l'histoire de la religion, je crois en avoir démontré bien clairement la fausseté ou l'incertitude : l'incertitude, lorsqu'un auteur inconnu et intéressé à soutenir sa cause, nous avance des faits obscurs qui n'ont pu venir à la connaissance de personne ; et la fausseté, lorsqu'il nous raconte des faits publiés et éclatants qui sont, ou démentis par les histoires contemporaines, ou passées sous silence par les auteurs les plus attentifs et les plus exactes à rapporter jusqu'aux moindres minuties qui avaient quelque apparence de religion ou de prodige.

Éloignons donc pour jamais un respect servile qui nous faisait adorer cet assemblage monstrueux de ridicules suppositions, regardons la religion chrétienne du même oeil que nous regardons les autres, suivons le culte établi dans le pays où le hasard nous a fait naître, regardons ce culte comme faisant partie des lois civiles et conformons-nous à ce qu'il exige, de même que nous en usons à l'égard des lois et même des coutumes que nous trouvons établies. Qu'il soit pour le peuple imbécile et grossier un frein, qui l'empêche de l'abandonner au mal. Mais nous devons penser d'une manière plus élevée. Quoi l'homme raisonnable ne peut-il faire le bien que dans l'espérance d'une félicité éternelle après la mort ? Non, la nature humaine de sentiments plus nobles, réglons notre conduite à l'égard des autres, sur ce que nous exigerions d'eux, s'ils étaient à notre place ; cette loi est de tous les pays, de tous les temps ; elle suffit pour maintenir les liens de la société. Suivons-la le plus exactement qu'il nous sera possible pendant tout le cours de notre vie, et attendons-en tranquillement la fin, sans la désirer, ni la craindre.

Fin de la première partie.

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